67/ Une idée de la vie

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Amy observe Allegra avec attention. Elle cherche à savoir si elle est sérieuse. L'européenne semble perdue dans ses pensées.

— Vous pourriez coupler avec une partie autour de la littérature puisqu'il y a Mme Gilbert et sa librairie. Je suis sûre qu'elle adorerait inviter des auteurs. Et puis un festival, ça a le mérite de ne durer que peu de temps, ce qui implique que le plus gros afflux de touristes ne serait que sur un temps donné. Cela devrait plaire à ceux qui voit ton idée d'un mauvais œil, puisque le désagrément serait temporaire.

— Ça pourrait marcher, dit Andy qui est sorti de la cuisine en se frottant ses mains rougies par l'eau chaude. Il était en train de faire la plonge.

Cette fois, c'est lui qu'Amy observe.

— Vous êtes sérieux ?

— Moi je disais ça comme ça... Hein... se défend Allegra immédiatement. De toute façon je suis une étrangère ici...

— Arrête avec ça ! C'est pas parce que certains, comme Andy, sont des bouseux indécrottables que tu dois te sentir à l'écart ! s'exclame Amy en coulant un méchant regard à son frère.

— Hé ! Mais j'aime beaucoup Mlle Muller ! s'exclame l'intéressé en faisant un geste d'impuissance. C'est juste que je l'aimerais encore plus si elle prenait un verre avec moi, plutôt qu'avec toi, Amy, finit-il en posant ses deux mains sur la table pour fixer Allegra qui rougit aussitôt.

— Fiche lui la paix, espèce de pervers ! Et va plutôt chercher Charly ! S'il est d'accord, ça veut dire qu'on tient peut-être quelque chose !


L'idée crée une sorte de consensus qui lie les opposants. Un festival ne sera pas la porte ouverte à un tourisme de masse et au reniement du principe qui veut que Parosibeach est un lieu paisible et préservé. Le gérant de l'unique hôtel-auberge du village voit déjà l'avenir radieux. Les autres commerçants aussi. Mme Gilbert en tête, qui trouve l'idée fabuleuse.

Bien qu'elle ait lancé l'idée, Allegra ne se sent pas concernée. En fait, ça n'est pas tout à fait exact. En elle, deux concepts s'opposent sans qu'elle n'y puisse rien. Elle a l'impression de devenir schizophrène. La Allegra qu'elle tente d'enfouir, mais ne parvient pas à étouffer tout à fait malgré les vêtements ternes et l'idée du verre à moitié vide qu'elle cultive depuis la disparition de Wolf, veut prendre les commandes. Elle a envie de couleurs, de joyeux chaos, de cacophonie et de vitalité. Tout le contraire de ce qu'elle s'impose au quotidien. Ça lui demande beaucoup d'efforts de résister.

La jeune femme en prend conscience maintenant qu'une opportunité lui est offerte de faire rejaillir sa vraie personnalité.

Puis, la question fuse, impossible à contenir plus longtemps : comment résister à l'envie de vivre ?! Ça suffit ! Elle s'est assez cachée ! Elle en a marre de jouer à la bergère, à la recluse sur la montagne, à la fille indifférente et calme ! Cazzo ! Ça bouillonne là-dedans ! Ça a envie de danser, de boire jusqu'à plus soif, de rigoler comme une baleine ! Les brèves parties de jambes en l'air avec Rob ne lui suffisent pas. Elles ne lui suffiront jamais. Combler la solitude ne devrait suffire à personne.

Allegra, l'optimiste, la joie de vivre, le rayon de soleil alsacien – si ça existe ! - n'est pas morte. Elle est encore là. Elle sera toujours là ! C'est pas parce que son cœur saigne qu'elle doit oublier sa vraie personnalité !

Six mois ! Elle a attendu six mois pour prendre conscience que tout ce cirque est ridicule ! Qu'elle n'est pas faite pour cette vie en sourdine. Cette vie de demi-morte. Elle est fille de tempête ! Elle ne va se laisser dompter aussi facilement ! Merde ! Wolf est mort ! Ok ! Mais le monde grouille de mecs au moins aussi beaux et peut-être bien plus attirants ! Elle ne va pas devenir nonne et finir seule au milieu de son îlot de verdure, certes, paradisiaque, mais d'un ennui mortel !

Sally arrive bientôt, elle va lui montrer qu'Allegra Muller n'a pas disparu, noyée dans le chagrin et le marron.


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant