Les tribulations d'Allegra Muller

38/ Mission à haut risque

Allegra lève le nez de la pile de documents qu'elle est en train de parcourir. Assise dans une salle de réunion de Takahashi Tech, elle étudie toutes les informations nécessaires à sa mission d'espionne en herbe du soir même. Takeo Shimada y tient. Il veut qu'elle comprenne les enjeux. Comme elle a signé un accord de confidentialité, il ne craint pas de lui montrer ce à quoi elle ne devrait normalement pas avoir accès.

Il lui a demandé ce qu'elle comptait porter ce soir. Elle lui a montré des photos. Il a souri et a approuvé son choix. Allegra a immédiatement pensé que Matthew aurait fait une remarque s'il avait été là. Sur le fait que la robe, et ce qu'elle allait y mettre, sont un appât. Un moyen de détourner l'attention. Qu'il faut qu'elle fasse attention. Ce monde de faux semblant n'est pas le sien. C'est celui de Matthew.

— Vous êtes splendide !

Shimada semble vraiment penser ce qu'il vient de dire. Il sourit et l'aide à sortir du taxi en lui proposant sa main. Lui aussi est élégant. Il lui a assuré que sa couverture était en place. Ce qu'elle sait déjà. Matthew lui a expliqué ce qu'il ferait et où il se trouverait en cas de besoin. Elle se sent confiante. Elle est sûre de son potentiel et est prête pour sa mission.

Le couple entre dans le restaurant haut de gamme. De nombreux regards les suivent. Allegra aperçoit même quelques discrets flash de téléphone. Même si la réputation de Shimada n'est plus à faire, elle n'avait pas prévu une telle effervescence.

Quand la mission sera terminée, elle espère retourner dans l'anonymat le plus total. Sinon, il faudra qu'elle change d'apparence. Et pendant qu'elle s'imagine en blonde ou en brune avec des lunettes, et portant des vêtements d'une couleur insipide, bref pendant qu'elle imagine sa vie ennuyeuse et déprimante environnée de couleurs ternes et de ciel gris, forcément, son cavalier pose sa main au niveau du décolleté de son dos pour accompagner son avancée.

Il caresse discrètement la peau dénudée. Fugitivement Allegra se demande jusqu'à quel point Shimada joue un rôle ? Ne profite-il pas un peu trop de sa mission ? Peu importe. Elle sourit, et le laisse faire. Ce soir, elle est Mata Hari.

Lorsqu'ils arrivent à la table, l'ensemble des personnes présentes se lèvent. Deux hommes en costume sombre, une femme, et Kim Min-Ho qui sourit, mais sans fossettes. Allegra voit parfaitement la crispation qui est passée fugitivement sur son visage lorsqu'il l'a vue. Après les présentations d'usage, Shimada l'aide à s'asseoir et l'embrasse sans ambage avant de lui murmurer à l'oreille un « vous êtes censée être ma petite amie, Mlle Muller... vous vous souvenez ? ».

Elle se souvient et peste contre son manque de jugeote. Bien sûr ! Elle doit être plus démonstrative ! Elle est la petite amie ! Elle se tourne vers lui et pose délicatement sa main sur la sienne en souriant. Il la prend et en embrasse les doigts avant de se tourner vers ses interlocuteurs coréens.

Immédiatement après, les discussions débutent. Kim Min-Ho joue son rôle à la perfection. En une simple phrase amicale, il indique qu'il connaît Allegra Muller et indique sa capacité à comprendre et parler le coréen. Direct. Ainsi les convives sont au courant qu'elle n'est pas une simple ravissante européenne. Le coréen la met en position d'intervenir.

Pour détendre l'atmosphère, elle évoque l'incident à l'Institut de France de Kyoto où ils se sont rencontrés. Tout le monde sourit ou s'esclaffe discrètement. Bon point pour elle.

Puis la conversation s'oriente vers des intérêts professionnels, et Shimada prend la main. La tractation commerciale concerne un composant numérique manifestement extrêmement important. Un programme novateur, pour ne pas dire révolutionnaire. Kim Min-Ho ne quitte pas Allegra des yeux. Allegra et son pendentif parfaitement visible sur le devant de sa robe.

Allegra remarque également le regard de la femme qui accompagne les coréens. Cette dernière n'a pas décoché un mot sauf pour se présenter : Zang Hong-Chi. Elle est l'amie de Kim Min-Ho. Allegra sent que le véritable danger pourrait bien venir de cette femme dont le sourire sanguin n'atténue pas la froideur du regard noir d'encre.

Elle ne croit pas si bien dire.