48/ Imprévisible

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L'aéroport est très animé. Une foule compacte attend l'arrivée des voyageurs. D'autres personnes sont en partance. Ballet de valises roulantes et de sacs volumineux. D'attente et de cafés brulants. De sourires et de larmes. D'étreintes chaleureuses et de poignées de mains viriles. La vie d'un aéroport.

Allegra reste quelques minutes là où le tahitien l'a laissée. Elle fixe le panneau qui annonce les arrivées et les décollages. C'est d'abord un écran sans intérêt qui lui permet de laisser voguer ses pensées.

Racoon a réussi à la suivre jusqu'ici. Comment ? Allegra l'ignore et redoute de savoir. Elle voit des scènes de tortures issues de films glauques vus il y a de longtemps où Matthew tient le rôle de la victime. Une seule chose persiste : si la tueuse savait pour Tahiti, elle doit savoir pour Paris. Même si grâce à Tanetoa et sa vedette lancée à fond, elle a gagné du temps, Allegra a encore plusieurs heures d'attente avant d'embarquer pour la capitale française. Largement assez pour permettre à la tueuse de se retourner et l'atteindre avant le départ, en vol ou à l'arrivée. Allegra ne lui échappera pas en suivant le plan initial.

Pas moyen de s'en débarrasser à moins d'être imprévisible.

Alors que jusqu'ici, Allegra ne lisait rien de particulier sur le panneau d'affichage, quelques lettres se détachent, s'agglutinent, forment un mot et éclairent les pensées de la jeune femme : Auckland.

Elle ouvre avec précipitation son sac, fouille un petit moment, trouve enfin ce qu'elle cherchait et brandit triomphalement un formulaire NZeTA. L'administration n'aura pas raison de sa capacité à rebondir. Elle est peut-être désormais seule face au danger, mais pas dépourvue de ressources.


Étonnée, l'hôtesse qui s'occupe des billets regarde la jeune femme face à elle, mais ne dit rien. Des clients originaux, elle en voit souvent, même si celle-là n'est pas loin de tous les surpasser avec ses fringues affreuses et ses tongs pourries. Mais bon, le billet est en règle, alors pas de problème. L'hôtesse sourit poliment à la jeune femme rousse en lui souhaitant un bon voyage.


Tanetoa s'est arrêté le long du ponton de la petite crique. Au-delà du sable, parmi une épaisse futaie, la maison sur pilotis qui s'adosse à la montagne semble vide. Pourtant, le tahitien sent qu'il n'en est rien. Il a la nette impression d'être surveillé. Il pense brièvement à la chinoise. Puis il se rassure. La tueuse doit poursuivre sa proie. Il est quasiment impossible qu'elle l'ait suivi jusque dans ce coin perdu de l'île.

Il passe devant un hangar noyé par la végétation, dont la porte entrouverte laisse apercevoir un voilier en cale sèche. Il s'arrête devant la porte de la maison. Il va pour s'annoncer quand la moustiquaire s'écarte et laisse voir la silhouette de son client : Un homme assez jeune, vêtu de noir, dont le regard le cloue sur place.

— C'est toi, Tanetoa ? Taxi-boat. Immatriculé ZF587. Dernier client : une femme rousse d'origine française en partance pour Paris ?

Le tahitien flaire les ennuis. Il n'a pas le temps de reculer, qu'il se retrouve brutalement adossé à l'un des piliers de la terrasse et dans l'incapacité d'échapper à un Dieter Wolf très, très en colère.

— Maintenant tu vas me raconter minutieusement ce qui s'est passé à partir du moment où tu as pris en charge ta cliente à l'aéroport...


Dieter ferme la porte et active l'alarme silencieuse. Rien ici ne peut permettre d'identifier le propriétaire de ce bout d'île, ni les bâtiments qui y sont édifiés, ni ce qu'ils contiennent.

Il embrasse la crique d'un regard et soupire. Si son plan avait fonctionné comme prévu, il aurait pu rester ici quelques jours pour se reposer. Mais rien n'a fonctionné. Il aurait dû se douter qu'il n'arriverait pas à contrôler l'ensemble des paramètres avec Allegra Muller parmi eux.

Bon dieu ! Cette fille est incapable de suivre un ordre, même le plus anodin. Et elle a bien failli en mourir ! Dieter enrage. Il s'en veut. Il s'en veut de ne pas avoir été là pour la protéger.

Il s'en veut aussi de n'avoir pas réussi à intercepter Racoon avant qu'elle n'atteigne sa cible. La tueuse est une véritable anguille, mais elle a commis une erreur de taille. Elle a mis Shade en rogne.


Le taxi-boat fend les flots à grande vitesse. À l'arrière, Dieter vérifie quelque chose sur l'écran d'une tablette qu'il a extrait de son sac à dos. Il est contrarié. Il range son matériel et frappe soudain l'arrière de la tête du tahitien sans le regarder.

— Hé ?!

— Tu l'as quasiment mise dans l'avion pour Paris, hein ?!!

— Oui !

— Alors qu'est-ce qu'elle fout dans un avion pour la Nouvelle Zélande ?!!! Bordel !

Tanetoa prend un air contrit en rentrant la tête dans ses épaules. Il s'attend au pire. Il se voit déjà à nourrir les requins, quand il s'aperçoit que son client est déjà passé à autre chose et téléphone.

— Hey ! Ari ! Tu es toujours en Australie ? Oui ? Dis-moi que tu peux être à Auckland ou dans les environs demain ? Extra ! Tu es dispo pour réceptionner un colis... Comment ? Ah, oui. Moins d'1m70 de haut. Environ 50 kilos, tout au plus... Non. Signes distinctifs ? Remuant et emmerdant au possible. Plus précis ? Rousse aux yeux bleus... Rigole ! Tu vas moins te marrer quand il va falloir te la fader...


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant