4/ De l'impossibilité d'être discrète

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Dès son arrivée au Japon cinq mois plus tôt, pour compléter les heures qu'elle fait à l'Alliance Française et les missions ponctuelles d'interprète qu'elle réalise pour l'Institut Français à Kyoto, Allegra a proposé ses services à un certain nombre d'entreprises de la ville de Tokushima. Plusieurs d'entre elles ont répondu favorablement et lui confie régulièrement des missions. Takahashi Tech est l'une d'entre elles.

Le matin même, Allegra avait réceptionné un message lui demandant expressément de venir chercher un document confidentiel à traduire au plus vite. Bien que ce mois de juillet soit assez chaotique niveau temps, et que le ciel ait annoncé la couleur dès le matin – gris sombre et menaçant -, la jeune femme s'est exécutée.

Le document en question est sur une clé. Elle doit maintenant retourner chez elle se mettre au travail. Comme lorsqu'elle travaillait pour l'ONU, elle a évalué la difficulté de la tâche et pense ne pas en avoir pour plus de deux jours. Même avec la soirée à Kyoto prévue le lendemain.

Allegra a conscience que depuis son arrivée sur les rivages de cette ile, elle ne cesse de se noyer dans le boulot. Elle soupire. Repense à New-York. Se dit qu'elle ne regrette rien. De toute façon, c'était ça ou faire une tête au carré à son ex, donc rendre publique leur liaison, et en plus passer pour la méchante puisqu'il est marié.

Être une maîtresse trompée – le comble ! - passe encore. Mais perdre la face sur son lieu de travail avait paru insurmontable à Allegra. Devenir traductrice pour l'Onu avait été une consécration pour elle. Alors pas question de tout perdre pour un cœur – et un orgueil - en miette, et encore moins pour un sale con !

Sa meilleure amie, Sally, le lui avait répété mille fois pourtant, Samuel n'était qu'un ... profiteur, pour parler poliment. Il cherchait toujours à avoir le beurre (sa femme), l'argent du beurre (la situation sociale qu'elle lui apportait en étant la fille d'un diplomate), et le cul de la crémière (une maîtresse, c'est-à-dire elle jusqu'à il y a quelques mois).

Changer d'air a été un excellent remède. Au bout de cinq mois, Allegra va mieux. L'ex est définitivement oublié. Elle se demande même comment elle a pu lui trouver quoique ce soit d'intéressant.

Toutefois, la question qu'elle refuse de se poser malgré un certain nombre de relations ratées, et sur laquelle Sally revient sans cesse, c'est : pourquoi s'embarque-t-elle toujours avec des types dans le genre de Samuel ? De faux protecteurs arrogants et séduisants qui la laissent tomber par manque d'intérêt évident.

Allegra ne se trouve pourtant pas sans intérêt. Elle se trouve même extra. Elle voyage beaucoup, explore l'inconnu grâce à son métier, et a plein de loisirs. Elle connaît un tas de monde et a des amies presque partout sur la planète ! Et pour couronner le tout, elle est loin d'être moche ! Cazzo !

Oui, parce qu'Allegra est réellement loin d'être moche ! Cazzo ! Qu'on se le dise !

Allegra, née Muller, non contente d'avoir un prénom à consonance italienne alors qu'elle est alsacienne – ne lui demandez pas pourquoi ses parents ont décidé de lui donner un prénom comme le sien, elle n'aurait pas la réponse puisqu'ils sont morts avant d'avoir pu lui révéler le moindre arcane de la vie sur terre -, est une jeune femme de 26 ans à la chevelure flamboyante comme un soleil couchant un soir d'été. Quelques taches de rousseur sur un nez fin très légèrement retroussé, qui lui donne un air espiègle, pour ne pas dire mutin. Deux grands yeux bleus ravissants, et une bouche large et souriante complètent le charmant tableau.

Sans compter sa silhouette fine et longue - un peu trop fine et un peu trop longue à son goût, d'ailleurs. Mais quelle jeune femme est totalement satisfaite de sa plastique de nos jours ? -, Allegra est loin d'être désagréable à regarder.

Pour en rajouter, parce que la génétique lui a aussi donné l'enviable capacité – mais peu appréciée à sa juste valeur quand on a moins de 30 ans - à paraître plus jeune qu'elle n'est, elle a compris depuis longtemps que si elle voulait qu'on la prenne au sérieux au travail, elle devait se vieillir un peu. Elle tire ses cheveux en arrière pour les attacher serrés, serrés, dans un chignon bas. Elle ne porte presque aucun bijou et se maquille avec une plume.

Si elle n'avait pas été affublée d'un abominable mauvais goût, elle aurait pu passer presque inaperçue où qu'elle aille. Malheureusement, l'étrange combinaison des gènes, et la relation étroite avec sa tante un peu farfelue, a pourvu Allegra d'un goût immodéré pour les couleurs vives. Qu'à cela ne tienne, si seulement elle se contentait de les associer harmonieusement. Hélas, non.

Allegra est donc un joli brin de fille, qui a abandonné l'idée d'être discrète, et dont les relations sentimentales traduisent son aveuglement amoureux. Ce qui lui a créé quelques déconvenues durant sa scolarité et dans le monde du travail. Toutefois, elle s'en remet toujours, comme du reste. Allegra Muller est l'adaptation à l'état pur.

La suite révélera qu'effectivement, elle est dotée d'un certain don pour échapper aux pires des situations, ou au moins pour leur trouver un aspect positif à exploiter.


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant