Les tribulations d'Allegra Muller

32/ La robe

Allegra avance d'un bon pas vers le point de rendez-vous que lui a transmis Fox. Elle a le sourire. Bien que la situation soit complexe, elle a la sensation irrépressible d'avoir fait le bon choix. L'avenir s'annonce plus industrieux que jamais et bien plus excitant que prévu. Le contrat qu'elle transporte dans son sac en témoigne. Sally va en être verte de jalousie !

Une fois cette mission effectuée, Allegra préparera son voyage pour la Nouvelle Zélande. Elle va quitter le Japon beaucoup plus fortunée qu'elle n'y est arrivée – ce qui lui permettra de s'acheter un petit quelque chose quelque part. Un refuge comme elle en a toujours rêvé - , et riche d'une expérience digne des films à grand spectacle qu'elle va voir de temps à autre au cinéma.

Son regard s'échappe du côté des vitrines qu'elle longe et s'accroche à un tailleur bleu roi du plus bel effet, assorti à des escarpins framboise époustouflant. Allegra est en arrêt devant cette vision fabuleuse qui fait battre son cœur. Peu importe le prix, elle veut cet ensemble. Elle le veut d'autant plus que ça va faire bondir une certaine personne de sa connaissance, adepte du monochrome blanc ou noir, en toute circonstance. Son sourire s'élargit encore.

— N'y pensez même pas, dit alors quelqu'un derrière elle.

Allegra ne se retourne pas. Elle croise les bras sans changer de position.

— Je fais ce que je veux de mon argent.

— Claquer une somme pareille pour un truc aussi moche serait un crime passible de mort dans mon monde.

— Ça tombe bien, je ne fais pas partie de votre monde, dit-elle en prenant la direction de la porte de la boutique.

Matthew l'arrête avant qu'elle ne l'ait atteint.

— On a des choses plus importantes à faire, vous ne croyez pas ?

— Non. En fait, non. Il me faut d'urgence une tenue ultra chic pour mon nouveau job qui consiste à assister à un repas d'affaire pour tacler un certain coréen de ma connaissance. Alors non. Je n'ai rien de plus important à faire, désolée, réplique-t-elle en dégageant son bras et en entrant.

La vendeuse s'avance vers la nouvelle potentielle cliente en dissimulant sa gêne. Allegra voit parfaitement l'air contrit de la jeune fille et devine la remarque qui tourne dans son esprit : « Vue sa mise actuelle, cette femme ne peut pas avoir les moyens de se payer quoique ce soit dans cette boutique ». La jeune européenne hausse les épaules et s'en formalise d'autant moins que la japonaise vient d'apercevoir le mâle alpha qui l'accompagne – car Matthew est entré à sa suite – et porte sa main à sa bouche pour cacher sa stupeur. Il est vraiment beau, le bougre. Même habillé avec un simple ensemble en lin.

Allegra se dirige vers le tailleur vu dans la vitrine, mais en chemin, elle bifurque. Elle vient d'apercevoir un trésor encore plus rare et précieux. Une robe, décolleté plongeant et jupe plissée d'un vert chatoyant somptueux. Voilà qui conviendra encore mieux à un dîner d'affaire où elle est censée jouer la petite amie d'un tombeur. Elle prend le cintre avec délicatesse, et observe l'objet de son désir sous toutes les coutures.

— Sérieusement ? Ça ne fait pas un peu cliché, la rouquine habillée en vert ?

— Je vois que « môsieur » est un expert, murmure-t-elle.

— Bien meilleur que vous. Je crois que je préférais le tailleur finalement. Même avec les escarpins rose.

— Framboise.

— Framboise ?

— Les escarpins sont framboise. Ça n'est pas un simple rose, ignare !

— Pardon ! Ma majesté ! Framboise, donc... Je préfère le tailleur à cette robe.

— Vous n'aimez pas le vert ?

— Je n'aime pas l'idée que vous alliez à un rendez-vous d'affaire dans une telle robe.

— Trop décolleté ? demande Allegra avec un regard interrogateur.

— Vraiment trop.

— C'est la robe parfaite alors, annonce-t-elle triomphalement, alors que Matthew se frappe le front pour marquer son mécontentement.