13/ L'incident du petit four

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Avec sa couronne de cheveux tressés et sa robe rouge qui fait ressortir la blancheur de sa peau, pas moyen de la manquer. Bon, il doit reconnaître qu'elle n'est pas trop mal, ce soir. Enfin, si on ne s'attarde pas sur ses escarpins pailletés d'argent.

Dieter voit Takeo Shimada s'approcher d'Allegra avec sa compagne du moment – compagne qui lui rappelle vaguement quelqu'un -, avant d'entraîner la cible à l'écart. Le PDG aurait-il des vues sur l'interprète ? La distance qui subsiste entre eux lorsqu'ils se parlent l'informe qu'ils n'ont qu'une relation professionnelle. Dieter ne s'attarde le soulagement fugitif qu'il en ressent

Le jeune homme continue de louvoyer parmi les invités, plateau de coupes de champagne en main. Son déguisement est parfait, son uniforme impeccable et sa couverture irréprochable.

Quand Allegra est enfin seule, Dieter s'approche d'elle. Son objectif est de fouiller le petit sac ridicule qu'elle a dû prendre pour aller avec sa tenue et qu'elle a laissé avec sa veste au vestiaire. Il va lui subtiliser son ticket qu'il l'a vue glisser dans son décolleté au niveau de sa clavicule. Rien d'impossible pour lui. Même plutôt facile, à bien y réfléchir.


Allegra finit sa coupe au moment où un serveur empressé apparaît avec son plateau. Elle lui laisse le verre pour rejoindre le buffet, elle a un petit creux. Et puis, il n'est jamais très recommandé d'ingurgiter du champagne sans rien manger. Ça pourrait lui être préjudiciable. La seule fois où elle a tenté cette aventure, elle l'a amèrement regretté.

Elle s'était réveillée au petit matin dans le lit d'un parfait inconnu dont la beauté plastique – même au réveil avec une tronche en biais - était proportionnellement inverse à sa faculté d'empathie. C'est dire. Elle avait dû filer à l'anglaise en prétextant un rendez-vous urgent. Sally n'avait pas manqué de lui passer un savon, lui rappelant au passage les stats concernant les disparitions de jeunes et jolies jeunes femmes, incluant des rouquines

Ce soir, elle reste sobre et maîtresse d'elle-même. Elle ne s'attarde sur aucun des invités masculins. Pas même sur ce splendide spécimen tout droit venu de Corée du sud dont elle aurait sans nul doute pu faire son after. Elle détaille quand même l'homme en question qui discute avec le directeur de l'Institut. Tout pour lui. Grand, bien fait de sa personne et un sourire à fossettes des plus charmants.

Allegra se secoue. De toute façon, elle a promis à Sally qu'elle ne tomberait pas amoureuse pendant son séjour au Japon. Son amie le lui a formellement interdit, prétextant un sevrage de mec essentiel à sa survie et à ses nouvelles résolutions : un, on ne choisit plus ses potentiels partenaires dans son environnement professionnel immédiat. Exit Mister Corée. Deux, on cherche à comprendre notre besoin irrationnel de réchauffer notre lit avec une présence masculine active...

Mais comme Sally est également une vraie girouette côté cœur, elle lui a quand même conseillée de s'envoyer en l'air de temps à autre. L'exercice physique est bon pour la santé, et le sexe bon pour le moral. Céder aux pulsions bestiales de son corps est donc une activité hautement recommandable. Hello Mister Corée ? Peut-être, après tout...

Allegra attrape un petit-four et le mange avec appétit. Manger est aussi une activité tout à fait satisfaisante en cet instant. Sally n'aurait pas manqué de rire à cette affirmation, en ajoutant qu'un mec, c'est bien, mais qu'une blanquette réussie, c'est mieux... Toute une philosophie !

Sally lui manque. Allegra va rappeler son amie ce soir, car le denier appel n'a été consacré qu'à elle. Or, Sally se languit secrètement pour un type qui vient régulièrement rendre visite à sa vieille voisine de palier. Allegra trouve l'histoire de son amie pathétique. Si ça avait été elle, il y a longtemps que l'inconnu en question aurait eu son numéro et aurait calé des visites régulières chez elle... Mais si Sally s'affirme sans peur sur un tatami ou dans son labo, elle a un peu plus de mal à ouvrir son cœur dans la vraie vie. Allegra aurait aimé l'aider. Elle aurait favorisé l'intimité et les rencontres. Mais elle était à Tokushima. Elle ne pouvait donc qu'être spectatrice d'un théâtre d'ombres lointain et inaccessible.


Un bref, mais non moins inamical, coup d'épaule ramène Allegra à la réalité. Le contact violent la surprend. Elle avale la dernière bouchée de son petit four un peu trop brusquement et sent immédiatement que l'air lui manque. Elle cherche à tousser, n'y parvient pas, tâtonne, s'accroche à la nappe du buffet, manque de tomber.

Jusqu'à ce que deux bras l'enserrent brusquement et lui imposent des secousses aussi peu élégantes que désagréables. Elle sait que tout le monde la regarde. Elle sait qu'elle doit être aussi rouge que sa robe. Elle sait que malgré sa détresse respiratoire, sa position est indécente. Son stress augmente. Ce qui n'arrange pas l'obstruction de ses voies aériennes.

Finalement, le morceau de petit four rend les armes et s'éjecte brutalement de sa gorge pour achever sa course sur le tapis. Les bras disparaissent. Allegra chancelle, sent qu'on la soutient de nouveau, mais cette fois avec douceur. Takeo Shimada est près d'elle.


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant