35/ Ou l'âme d'un comptable

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Dieter est en train de préparer le dîner. Il a sorti plusieurs boites de ration qu'il stocke en prévision de missions. Il n'avait pas prévu de rester au Japon plus de trois jours. Les placards de la cuisine sont vides à l'exception du riz et d'une boite de céréales.

Il sent bientôt la présence silencieuse d'Allegra derrière lui. Il se demande brièvement si elle a vu les couteaux alignés dans le tiroir juste à sa portée.

— En dehors du fait que je vais trouver un moyen de me venger, il n'est pas question que je mange ce truc immonde.

— Ce truc immonde ? Ce sont des rations parfaitement adaptées pour apporter le bon dosage de nutriments, protéines et ...

— Gna, gna, gna...

— Vous m'en voulez à ce point-là ? dit-il en souriant.

— Vous n'imaginez même pas ?! Me priver de tout contact avec ma meilleure amie... après avoir massacré ma veste Dolce ! Vous cumulez les mauvais points. Votre karma est en train de s'obscurcir à vue d'œil. Je vous prévois une prochaine vie archi pourrie, voire un véritable enfer.

— Vous croyez en tout ça ?

— Pas du tout. Mais j'espère que vous, oui.

Il hausse les épaules en sortant la casserole fumante du feu.

— Non. Moi, je suis convaincu que l'enfer est ici... Je ferai des courses demain. Il serait préférable de ne communiquer avec votre amie qu'une fois la mission achevée. Si vous ne pouvez vraiment pas attendre, il y aura une condition.

— Laquelle ?

— Pas un mot des enjeux réels et de la mission. Je suis votre petit-ami, point barre.

— Ça ne devrait pas poser de problème. Mais ne croyez pas trop en notre idylle, je vais devoir y mettre un terme au plus vite. Je n'aime pas mentir à ma meilleure amie. Sans compter qu'elle a un radar ultra perfectionné pour ce genre de « guai ».

— Guai ?

— D'emmerdes. D'ennuis. De mensonges.

— Vous pourrez lui parler de moi quand vous serez en sécurité... Et que je serai loin.

— Ça, croyez-moi, je ne vais pas m'en priver ! Rencontrer un espion qui a l'âme d'un comptable, ça mérite toute une soirée au moins. Même si ça casse le mythe, j'en conviens.

— Un espion avec l'âme d'un comptable ? Non, mais vous...

Dieter s'est retourné, la cuillère levée, prêt à faire la leçon à la jeune femme. Mais il s'arrête devant son visage radieux. Accoudée au comptoir, elle sourit de toutes ses dents, le menton dans une main. Un autre point pour elle.

— Il doit bien y avoir un truc à se faire livrer dans le coin ?!

— Pas question ! dit-il en posant la casserole sur le comptoir. Ce soir, c'est ça ou rien. Demain, je ferai des courses.

— OK. Mais je viens avec vous. Sinon, il n'y aura que des trucs dégueu... et barbant.

— Barbant ?

— Barbant, vous vous souvenez ? Le gris ? Barbant ? Le fonctionnel ? Barbant. Les rations ? Barbant ? Un esprit sain dans un corps sain ? Barbant. Je vais introduire la fantaisie dans votre vie bien rangée. Et après, vous ne pourrez plus vous en passer ! ajoute-t-elle en tapant sur le comptoir en souriant toujours.

— Rien n'est moins sûr. Je crois que je vais doublement apprécier votre disparition prochaine. Peut-être même que je vais en accélérer l'exécution...

— Paroles ! Paroles ! Paroles, chantonne-t-elle sur l'air de Dalida en s'éloignant vers la chambre.

Dieter s'assoit lourdement au comptoir et se demande si c'est finalement une bonne idée de la garder dans son environnement immédiat. Elle va réellement lui faire vivre un enfer. Il pioche une bouchée de ration à même la casserole et soupire. Il grimace. C'est vraiment dégueu...

Il se lève finalement et prend sa veste.

Une demi-heure plus tard, le jeune homme partage avec Allegra un repas composé de brochettes de poulet délicieuses et brûlantes. Elle ne fait aucun commentaire. Elle sait rester modeste pour savourer un triomphe.


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant