Allegra s'assure que ses quelques moutons sont bien installés pour la nuit. Ça n'est pas rien six moutons, quoi qu'on en dise, c'est du boulot. Pendant son absence, c'est Rob qui devait s'en occuper. Elle l'a averti la veille qu'elle revenait plus tôt que prévu. Il n'a rien dit, n'a rien demandé, comme à son habitude. Mais il est passé quand même ce matin avant qu'ils n'arrivent parce qu'elle voit que les litières ont été nettoyées.
Alors qu'elle ferme la porte de la bergerie, elle entend les aboiements furieux de Hunta. Elle a laissé le chien à l'intérieur de la maison, et il ne s'est pas fait prier. La fine pluie qui tombe depuis une heure n'y est sans doute pas pour rien, car d'ordinaire, il aime venir l'aider à coucher les bêtes dont il a la garde.
Elle sourit en pensant à Hunta. Vous voulez un amour inconsidéré et inébranlable ? Prenez un chien ! Vous ne serez jamais déçu. C'est con un chien. Con au point d'aimer son maître jusqu'à faire des centaines de kilomètres pour le retrouver, jusqu'à en mourir parfois...
Elle s'inquiète. Pourquoi aboie-t-il ?
La nuit n'est pas complète. C'est l'heure étrange où tout se nimbe d'obscurité sans être totalement englouti. Allegra braque sa lampe vers la maison dont le perron est éclairé normalement. Sauf que ça n'est pas le cas en cet instant. Elle discerne un mouvement furtif sur le côté droit de la maison. Celui qui donne sur les bois. Elle n'aime pas ça. Et encore moins maintenant que le chien s'est tu.
Pas question d'affronter qui que ce soit les mains vides. Elle attrape l'une des grosses pierres qu'elle garde toujours près des portes pour les bloquer au besoin, puis elle se met à courir vers la maison.
Allegra se concentre sur le faisceau tressautant de sa lampe. Elle pense à Hunta. Son cœur se serre. Elle espère qu'il va bien. Même si elle le sait capable de se défendre, elle a peur pour lui.
Elle voit d'abord la porte de la maison ouverte. Puis, elle s'avance encore un peu, toujours dans l'appréhension, pas encore dans la réalité. La réalité arrive après, et ses yeux s'agrandissent d'horreur. Hunta gît sur le perron, en travers de la porte. Une fleur de sang s'est répandue sous lui, teintant le bois de la terrasse.
La jeune femme ne crie pas. Le trauma est trop grand. On lui a tué son chien ! Son cœur en est déchiré autant que si l'animal avait été la chair de sa chair. Et sa colère explose. Elle monte les marches quatre à quatre.
— Qui tue les chiens ? Qui fait ça ? Quel putain d'enfoiré fait ça ?! hurle-t-elle en s'agenouillant près du cadavre du chien encore chaud.
Personne ne répond et rien ne bouge.
Puis, elle entend les bêlements affolés des moutons. Les moutons ! Elle se relève en un bond et s'élance sans réfléchir, mue par elle ne sait qu'elle nécessité de préserver la vie de ces satanés bestioles qui lui ont pourtant fait la vie dure depuis qu'elle les a.
Dans sa tête, il n'y a que des bribes de raison. Hunta est mort. Hunta ! Hunta est mort ! Comme Dieter ! Comme Greta ! Comme ses parents ! Allegra a beau être de nature optimiste, parfois c'est difficile. Surtout dans ce genre de situation. À aucun moment, elle ne songe qu'elle court vers le danger sans rien pour se protéger, sinon une malheureuse pierre. Une pierre. Elle est David contre Goliath. Elle s'en fout. Vous vous souvenez, la témérité encouragée par la peur et la colère ? Allegra Muller dans toute sa splendeur et sa rage.
La porte de la bergerie est grande ouverte. L'herbe de l'enclos se couche sous le vent. Allegra court. Elle s'arrête devant la bouche presque obscure de la petite bâtisse en pierre. Elle semble se rendre enfin compte qu'elle est seule face à quelqu'un qui tue des bêtes dans une cacophonie insupportable de cris déchirants. Elle a affaire à un boucher sanguinaire ! Un taré ! Un psychopathe qui aime la douleur et la souffrance qu'il procure !
La colère d'Allegra est si intense qu'elle ne réfléchit plus. Elle lève son bras, si faiblement armé et s'avance.
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Les tribulations d'Allegra Muller
ChickLitAllegra Muller ne croit pas au destin et voit son verre toujours à moitié plein. Elle ne cherche pas à révolutionner sa vie, elle trace son chemin. Mais parfois sur les chemins que l'on trace, il y a des obstacles. Fortuits ou non, ils infléchissent...