45/ Tahiti jolie

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« Vingt-et-une heures ? »

Allegra relit une nouvelle fois le temps de vol, escale comprise, sur le billet que vient de lui remettre l'hôtesse. Elle n'en croit pas ses yeux. Tu parles d'un saut de puce !? Et pas d'appel à l'international ni de connexion au réseau avec ce foutu téléphone... Il va falloir s'occuper... Cazzo ! En plus, l'heure de décollage est en fin de journée !

La jeune femme regarde autour d'elle et fait brièvement l'état de sa situation.

Elle est vivante. Habillée de vêtements plutôt sans intérêt, mais confortables – pantalon et veste de toile beige et tee-shirt blanc. Beurk, beurk, beurk ! -, et chaussée de basket. Elle détient son monde dans un petit sac à dos étanche que Matthew lui a prêté avant de partir - Sa besace ne contenait pas l'ensemble de ce qu'elle voulait garder avec elle dans l'avion -. Bon, il va lui falloir de quoi tuer le temps... Et puis du sucre. Inéluctablement...

Mais elle est à Tahiti ! Bon sang ! À Tahiti !

Le seul souci est que Matthew lui a spécifiquement demandé de rester dans l'enceinte de l'aéroport. Et plus précisément dans la zone de transit. Sauf qu'Allegra n'a pas pour habitude d'obéir à des ordres qui ne lui paraissent pas justifier.

Elle regarde un seconde fois l'heure de décollage inscrit sur le billet d'avion à destination de Paris, que Matthew a fait déposer pour elle au guichet principal et qu'elle a récupéré avant de faire enregistrer ses deux valises

Elle sourit. L'aube pointe à peine, Allegra a du temps devant elle.

— Ce serait vraiment dommage de ne pas visiter cette île avant de partir, se murmure-t-elle à elle-même.

Elle fera des photos qu'elle enverra plus tard à Sally... Immédiatement, elle entend dans sa tête le grognement mécontent que ferait Fox s'il était là. Mais il n'est pas là. Il est sans doute en train de « s'occuper » de la chinoise. Allegra a une journée pour faire un peu de tourisme. Elle n'a jamais vu les « îles du vent ». Pas question de se contenter de l'aéroport.


Des vedettes parcourent les lagons. L'île principale est loin d'être une belle endormie, même si beaucoup de somptueuses demeures qu'Allegra aperçoit, ne sont pas ouvertes. La vie s'agite ici comme ailleurs.

Assise à l'avant du taxi-boat, la jeune femme profite du paysage. Son chauffeur a promis de montrer les plus beaux endroits de l'île sans poser pied à terre. Et c'est ce qu'il fait. Il a juste prévu un arrêt au niveau d'une baie où l'on peut manger, soi-disant, le meilleur Ia Ota de toute l'île.

Allegra se doute qu'il l'emmène dans une gargote tenue par un membre de sa famille, mais ça ne la dérange pas. Tanetoa, car c'est ainsi que se nomme son chauffeur, est un type sympathique au physique rassurant. Pas particulièrement grand, un peu trapu, tatoué sur les bras, le sourire franc, il discute avec plaisir de son île, de ses particularités... et de sa langue, le tahitien.

Allegra est fascinée comme à chaque fois qu'elle aborde un nouveau continent linguistique. Elle se promet de revenir quand sa vie sera moins chaotique.


— C'est vraiment magnifique. Je crois que je pourrais rester un moment ici, dit Allegra plus pour elle-même que pour Tanetoa en picorant des crevettes.

— Ouais, c'est magnifique, mais pour y vivre correctement il faut s'accrocher ou être blindé de pognon, lâche laconiquement le tahitien en croquant dans un beignet de poisson. Une spécialité de sa tante Vaimiti chez qui il a amené l'étrangère.

— C'est chez vous, ici, n'est-ce pas ? demande Allegra pour changer de sujet.

Elle ne se voit pas avoir une conversation sur la difficulté de vivre sur une île paradisiaque quand on en n'a pas les moyens, alors qu'on y est né. Ça n'est pas son domaine, et elle n'a pas assez de connaissance pour se lancer sans risquer de vexer son chauffeur qui, par ailleurs, est très gentil avec elle.

— Oui. J'ai grandi là-bas, dit-il en montrant un ensemble de maisons pas terribles, mais sur le bord de la plage. J'ai commencé à parcourir les sentiers de la montagne derrière, dès que j'ai été en âge de marcher et j'ai pêché dans le lagon avant même de savoir nager.

Allegra sourit. Elle songe à sa propre enfance dans sa ville alsacienne où la neige s'invite si souvent en hiver. Au fait qu'elle n'a jamais mis plus que les mollets dans l'océan.

— Il reste beaucoup de temps avant d'aller à l'aéroport, dit soudain Tanetoa en se tapant sur les cuisses. Vous préférez que je finisse le tour de l'île ou vous voulez crapahuter un peu pour voir mon spot de rêve ? finit-il en souriant.

— Le spot de rêve, bien sûr ! lance Allegra en se levant.


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant