78/ Allegra reprend la main

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Quand la maison a explosé, le panache de feu s'est vu jusqu'au village. Ari, qui était en train de sortir du pub où il avait bu un verre avec Sally, a compris immédiatement en voyant ses quatre pneus à plat, que rien n'était dû au hasard.

Malgré la volonté quasi hystérique de Sally de rejoindre la maison, même à pieds s'il le fallait, le néo-zélandais a ordonné à la new-yorkaise de rester avec le reste de la fratrie Tomberry au pub. C'est à ce moment précis que Sally prend conscience que tout ce que lui a raconté Allegra n'est pas une simple trame pour un mauvais film de série B. C'est a ce moment précis qu'elle comprend qu'elle n'a pas sa place dans ce monde de violence et de mensonges. Qu'elle n'en a pas les clés pour y survivre.

Elle obéit donc, pétrie d'appréhension, mais pas totalement anesthésiée par la peur. Avec Amy, elles décident de s'occuper de la voiture pendant que Ari monte avec Andy. Il faut remettre l'engin en état et rapidement. Pour fuir. Loin. Vite.


La suite est chaotique et frénétique. Les flics locaux. Les pompiers. Tous s'activent. Le feu a du mal à être maîtrisé. Le brasier est intense. « Accélérant et combustible », pense Ari. Derrière les divers engins déjà sur place, une foule s'est massée, accrochée aux barrières installées à la va-vite par la police. Personne ne fait attention à lui. Tout le monde est sous le choc.

Et sous la voûte étoilée de cette nuit d'été, la maison n'est bientôt plus que cendres et ruines noircies. Un seul corps pour le moment. En plus de ceux du chien et des moutons, car le feu a suivi la traînée d'accélérant qui a dû être répandue avant la mise à feu, et s'est propagé à la bergerie, dont il ne reste rien non plus, sinon quelques murs sombres et tristes. Et puis, il y a l'odeur. Insupportable. Suffocante.


La fumée, épais nuage opaque, masque la montagne. Ari se concentre. Il doit agir vite. Si quelqu'un a survécu à cet enfer, il doit se cacher dans les environs. Le néo-zélandais pense immédiatement à la planque dans la montagne. Celle qu'Allegra avait découvert. Il doit tenter sa chance.

Il disparaît dans l'obscurité, vers le sentier qui borde la colline en contrebas. Il a eu la présence d'esprit de prendre son sac à dos avant de partir avec Andy. Il a donc quelques « accessoires » indispensable pour sa mission. Il suit le chemin qui longe le terrain en pente où la maison d'Allegra se consume lentement désormais.


— Vraiment super idée de se badigeonner de fumier et de se planquer dans la bergerie remplie de cadavres de moutons puants... Super idée ! Vraiment ! Vous avez intérêt à vous réveiller un jour, Cazzo ! Parce que je n'en ai pas fini avec vous ! Croyez-moi ! Ah ça ! Non !

Allegra est assise près du corps de Dieter. Elle ne l'a pas amené jusqu'à la planque dans la montagne comme il le lui a demandé avant de perdre définitivement connaissance dans la nuit illuminée par l'incendie de sa maison. Elle n'a pas pu. Pas assez de biscotto. C'est qu'il est lourd le bougre.

Quand les explosions ont soufflé les vitres et ébranlé les murs, Allegra avait presque atteint la bergerie. Le souffle l'avait projetée sur la pente derrière le bâtiment de pierre et de bois. Elle n'avait pas perdu totalement conscience. Elle avait vu la langue de feu partir de la maison et progresser vers la bergerie comme une main infernale en quête de victime. Malgré le rugissement de l'incendie, elle avait entendu les coups de feu. La jeune femme avait reculé jusqu'à n'être plus qu'une ombre dans la nuit.

Elle était restée un long moment, prostrée, le cerveau sur pause, le trouillomètre en mode dépassement fatal du niveau autorisé et supportable. Si le froid et l'humidité ne s'étaient pas insinués dans chaque fibre de ses vêtements souillés et abîmés, elle serait sans doute restée là jusqu'à l'arrivée des secours.

Mais l'inconfort avait surmonté la peur. Le grondement continue de l'incendie lui avait fait penser à une bête monstrueuse en train de se repaître des vestiges de son existence encore une fois bouleversée. Allegra s'était redressée et avait entrepris de faire le tour par l'arrière de ce qui avait été sa maison pendant presque un an. Elle cherchait alors à rejoindre la route. Son salut.

C'est là qu'elle l'avait trouvé. Recroquevillé sur lui-même, les vêtements fumants, le visage crispé de douleur, Dieter Wolf avait encore une fois échappé à la mort. Mais il n'était pas en position d'en faire plus. Pas seul. C'est là qu'elle était arrivée et avait pris les choses en main.

Mais, soyons honnête, dans l'état où elle était elle-même, Allegra avait fait du mieux qu'elle avait pu. Elle avait soutenu le jeune homme jusqu'à ne plus ni voir, ni entendre l'incendie, car attendre les secours, ça aurait été prendre le risque de se trouver face aux tueurs. À ce moment-là, rien ne pouvait leur affirmer qu'ils n'étaient plus dans le coin.

Maintenant, dans l'obscurité bruissante de la montagne, elle a l'impression que ce corps inanimé n'est que plaie et douleur. Elle sait que l'état de Dieter requiert des soins urgents. Elle va devoir l'abandonner ici pour aller chercher du secours au plus vite. Elle veut l'aider. Elle doit l'aider. Elle va l'aider.

Un bruit sur le sentier en hauteur de sa position, l'a fait sursauter. Elle s'empare du couteau qu'elle a ôté du fourreau à la ceinture de Dieter. C'est la seule arme dont elle dispose. Presque à quatre pattes, elle s'avance lentement pour voir qui approche.

— Et bien, Mlle Muller, vous avez encore du chemin à faire avant de surprendre qui que ce soit. Pas sûr que le métier de tueur soit pour vous.

Ari Walker !


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant