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Filyn

10 ans, Santa Cruz

-Tu t'entends bien avec lui, pas vrai ? S'inquiéta maman.

J'hochai la tête pour ne pas la faire culpabiliser d'avoir recueilli inutilement un enfant compliqué et turbulent, mais la vérité, c'est qu'on ne s'entendait pas simplement "bien", on était complémentaires. Alors forcément, parfois on se chamaillait pour des conneries.

Si j'avais dû qualifier notre relation, je n'aurais pas su trouver le mot exact.  Parce qu'on était amis, je suppose, mais lorsque j'observais le comportement des enfants de mon âge, ils étaient tous reliés par un certain lien qui ne me concernait pas et qu'ils définissaient comme le lien de l'amitié.

Ou un certain lien par lequel je ne me sentais pas concerné. Un fil rouge qui s'enroulait invisiblement autour de leurs phalanges, que j'observais extérieurement les rapprocher un peu plus les uns des autres, tandis que je ne faisais que m'en éloigner. Je ne voulais pas me faire attraper par ce fil rouge. 

Si je gardais assez de distance, alors la rupture serait plus facile à supporter.

Mais Aléan me donnait quelque chose qui n'était pas commun. Il m'intriguait, et pour la première fois, je fus totalement encerclé de ce fil rouge. Je l'acceptais, parce qu'il n'avait rien d'étouffant et que je ne trouvais plus si important de penser à la rupture douloureuse qui viendrait forcément par derrière. Alors était-ce le mot pour nous qualifier ? L'amitié ?

Je passais mes dernières journées de vacances d'été sur la plage, ma guitare à la main, pendant qu'il...m'observait par sa fenêtre tel un psychopathe ambulant. On était constamment dans la chambre de l'un ou l'autre, à en apprendre plus sur nos passés respectifs, et à rire plein poumons...Ou alors, il surfait, et la c'était une autre histoire.

-Allez, file le rejoindre, s'enjoua-t-elle.

J'eus un instant d'hésitation avant d'accourir à sa fenêtre, et me planter face à lui.

Il fit une moue blasée comme si j'étais la raison de son ennui le plus profond, puis il s'appuya sur ses coudes en approchant son visage du mien.

-Qu'est-ce que tu veux ?

-Ne pas décevoir ma mère.

Aléan sourit légèrement, et pouffa de rire tout en me répondant :

-Le contraire m'aurait étonné. Je comptais aller surfer, affirma-t-il en sautant par sa fenêtre pour atterrir à mes côtés. Tu m'accompagnes ?

-Je ne suis pas sûr d'avoir ton ni-

-Viens, me coupa-t-il en tirant mon bras.

Le cabanon de bois se situait juste à quelques mètres de sa chambre, il prit une planche qui le dépassait largement, et m'incita à le suivre sans lâcher mon bras de sa main chaude.

-Avant je surfais avec mon père, déclara-t-il sans raison, c'était la seule chose qu'on avait en commun. Il m'a tout appris.

J'avais parfois l'impression que la présence de son père lui manquait alors qu'il était violent, ça me paraissait inexplicable.
Mais n'était-ce pas normal, pour un enfant de dix ans, de regretter une présence paternelle autant que celle maternelle ?

N'était-ce pas évident qu'il souffrait terriblement de sa solitude ? Sur qui compter lorsque vous vous faites arracher les deux seuls êtres qui sont censés vous protéger quoiqu'il arrive ?

Le sentiment d'abandon, de solitude.

L'impression de ne pas être suffisant, et la sensation d'être en trop.

Sharpened sensesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant