Filyn
13 ans, Santa Cruz
Les couleurs céruléennes qui enflammaient les vagues m'avaient toujours passionné, même lorsque je vivais encore à Watsonville, et qu'il y avait un peu de route à faire avant de les apercevoir.
Alors, lorsque mon père a proposé de venir habiter à proximité de la plage, du jour au lendemain, j'ai d'abord été très heureux, avant d'appréhender de tout mon corps.
-On devrait rentrer, chuchotai-je le visage toujours tourné dans une direction à laquelle Aléan n'avait pas accès.
C'était le meilleur moyen que j'avais de fuir une situation. Et en l'occurrence, j'avais grand besoin d'échapper au regard d'Aléan, alors je pris l'initiative de rentrer à la maison en sachant qu'il me suivrait.
-Je vais me doucher.
-Filyn, tenta-t-il de m'interpeller.
Je partis dans la salle de bain sans me retourner, afin de l'éviter momentanément. Juste un instant.
Le temps que mon cœur se remette de ses excès d'attention. L'eau tiède coulait contre ma colonne vertébrale et détendait mon corps à petit feu, tandis que mon cerveau décidait de me torturer à cogiter sans cesse. Toujours à réfléchir.-Foutu crâne, marmonnai-je en déplaçant mes cheveux derrière mes oreilles.
Ma remarque me fit sourire faiblement, car je pensai combien côtoyer Aléan impactait également ma façon de parler. Ma façon de penser, ma façon d'être...
Parfois, lorsque je le regardais, je me sentais capable d'apercevoir toutes ses craintes les plus profondes.
Je savais que s'il n'aimait pas les enfants, c'était simplement qu'il avait peur de mal se comporter en leur présence, parce que personne n'avait su se comporter correctement lorsqu'il n'était lui-même qu'un enfant.
Je savais qu'il ne parlait jamais de ce qu'il ressentait, qu'il n'exprimait jamais ses émotions...parce que personne ne prenait jamais la peine de l'écouter lorsqu'il était petit.Mais, ce qui me dérange, c'est qu'il m'arrivait de l'imaginer à trois ou quatre ans, assis sur la dernière marche de l'escalier que je voyais tous les jours.
Je le visualisais, la bouille exténuée d'assister à des scènes violentes et grotesques à longueur de temps, somnoler contre le mur en attendant que son père vienne le border.
Dans ma tête, il serrait ses petits genoux entre ses bras pour se réchauffer, ne comprenant pas pourquoi la nuit ne venait jamais. La nuit dont ils parlaient dans les dessins animés, celle qui terrorisait les enfants par sa noirceur, mais qui l'aurait sauvé lui, en lui évitant d'avoir à tout observer en continu.
Il finissait par s'endormir à même le sol, et par se réveiller sur ce même sol, le corps frigorifié, et les yeux encombrés de larmes de déception. Parce qu'il avait attendu que son père le porte et le dépose dans un lit chaud avec de bonnes couvertures. Mais que personne n'était venu. Personne ne venait jamais pour lui.
-Filyn ! Entendis-je de l'autre côté de la porte. Ça fait vingt minutes que tu laisses couler l'eau.
Ma mère semblait énervée, ou tourmentée...peu importe. J'éteignis l'eau avant de foncer m'habiller dans ma chambre. Au rez-de-chaussée, la salle de bain se situait au fond du couloir, suivie par la chambre d'Aléan, puis de la mienne. J'étais donc obligé de passer devant sa porte pour atteindre la mienne, sauf qu'elle était grande ouverte, et qu'il ne s'y trouvait pas.
Les cheveux humides, et vêtu de mon pyjama, je sortis de ma chambre en passant devant les escaliers qui menaient au sous-sol, ravalant la bile douloureuse coincée dans ma gorge à cause des images qui se créaient dans mon esprit pour illustrer les souvenirs d'Aléan.

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Sharpened senses
RomancePour Filyn et Aléan, grandir sous le même toit depuis leurs dix ans n'a rien d'une épreuve. Dans une maison où les murs résonnent des cris de parents abjects et où l'angoisse étouffe leurs rêves, leur amitié se tisse au gré des secrets et des douleu...