Aléan
24 ans, Santa Cruz
Un hochement de tête, un sourire courtois, deux trois blagues suffisamment drôles pour la faire sourire, et quelques gestes intrigants tel que détacher le premier bouton de mon haut, ou encore recoiffer les quelques mèches rebelles qui me tombent sur les yeux. Ça devrait faire l'affaire.
Oui, je dresse une liste dans ma tête, non pas pour draguer, mais pour parvenir à me faire embaucher. J'ai plus de capacité à plaire grâce à mon physique que grâce à mes aptitudes physiques, et c'est pitoyable. Malheureusement, à mon plus grand désarroi, je ne suis pas accueilli par la petite blonde qui me dévorait des yeux derrière sa caisse lorsque je sirotais mon verre il y a quelques jours, donc mon plan tombe à l'eau. En revanche, c'est un homme d'une trentaine d'années dont l'accent prononcé me donne des frissons qui m'interpelle.
-Vous désirez ? M'interroge-t-il d'un air réticent lorsque je passe les baies vitrées en vérifiant plusieurs fois qu'elles sont bien ouvertes.
-Un moyen de ne pas finir à la rue.
Allez, ferme-là Aléan. Ça ira mieux.
Je me racle la gorge en m'approchant, priant pour qu'il ne se base pas sur sa première impression pour prendre sa décision.
-Donc... vous voulez travailler ici ?
-Ravi que vous ayez compris la métaphore.
Il déplace le plateau de sa main gauche à sa main droite, toujours plus imposant chaque seconde qui passe.
-Un CV ?
-À ce sujet...
Je savais que j'aurais dû rester contre la poitrine chaude de Filyn ce matin, encore endormi, au lieu de paniquer et entreprendre de trouver du boulot sans même penser à prendre mes papiers. Mais lorsque j'ai pris conscience que ma nuque ne m'était plus si douloureuse parce qu'elle était calée contre la peau chaude de cet idiot, j'ai juste... paniqué.
-Un lettre de motivation ?
Combien il y a-t-il de probabilité pour qu'il ait pitié de moi, si je joue la carte de l'homme désespéré qui doit payer les frais d'hospitalisation de sa mère ?
-Vous savez quoi, je ne veux même pas connaître la réponse, déclare-t-il en balayant l'air de sa main.
-Ouais, je pense que ça nous éviterait mutuellement des minutes foutues en l'air.
D'une main lourde, il replace son plateau contre son torse en croisant ses bras par dessus, sans s'empêcher d'esquisser un léger sourire.
-Vous vous pensez convainquant là ?
-J'ai déjà servi des bières à mes potes ! M'empressai-je de répliquer. Je compte rapidement... et toutes les horaires me vont ! Je ne suis vraiment pas difficile.
Il acquiesce lentement d'un air détaché, et si un rictus amusé n'était pas déjà collé à sa tronche, je me demanderais pourquoi il ne se fout pas ouvertement de ma gueule.
-Interessant. Ça m'apporte beaucoup.
Je soupire et détourne les yeux, mais même s'il s'efforce de ne pas m'humilier plus que je ne suis capable de le faire tout seul, ses paroles restent dégradantes.
-Pour résumer, vous n'avez ni lettre de motivation, ni CV, et encore moins de l'expérience.
-On peut l'interpréter comme ça c'est vrai...
Plus je tente de le fuir du regard, et plus un élément brillant m'explose les pupilles, à travers le jean d'un homme avachi contre le bar. J'essaie de me concentrer sur autre chose, quoique ce soit qui me soulagerait de la douleur que me crée cet objet étrangement irradiant. Mais je reste focalisé plus qu'il ne le faudrait dessus.
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Sharpened senses
Roman d'amourPour Filyn et Aléan, grandir sous le même toit depuis leurs dix ans n'a rien d'une épreuve. Dans une maison où les murs résonnent des cris de parents abjects et où l'angoisse étouffe leurs rêves, leur amitié se tisse au gré des secrets et des douleu...