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Aléan

21 ans, Santa Cruz.

En plus de vingt ans d'existence, je ne crois pas avoir déjà traversé un tel entassement de sensations néfastes. J'étais assis sur le perron de la porte d'entrée, et j'observais les inconnus à une vingtaine de mètres de moi, qui pataugeaient dans la piscine, tandis que je profitais de ma solitude pour tenter d'oublier qu'une tumeur me tuait de l'intérieur, et que mon copain me détestait sûrement.

Je m'apprêtais à retourner voir Lucie et Filyn, lorsque celui-ci passa devant moi d'un air terrassé. Personne n'était assez proche de nous pour constater les taches de sang qui recouvraient encore son teeshirt et ses mains, et alors qu'il était contraint de passer devant la porte d'entrée pour foutre le camp, il s'aperçût que j'existais encore.

Il me lança un regard noir.

J'avais l'impression de me meurtrir dans les yeux haineux qu'il me lançait, et de me noyer sans n'avoir plus rien à quoi me raccrocher.

J'aurais préféré m'arracher le cœur à mains nues plutôt que d'endurer la douleur qu'il subissait.

— Tu ne vas pas me laisser là, comme ça, pas vrai ? L'implorai-je d'une voix plus brisée que prévu, à l'instant où il me tourna le dos pour partir.

Un dernier coup d'œil furtif, encore plus offensant que ses longues œillades destructrices, et je sus que j'allais mourir de douleur sur ce sol glacial. Parce qu'il n'avait même pas pris la peine de m'accorder plus qu'un putain de coup d'œil furtif avant de me tourner le dos. J'avais déjà été brisé à maintes reprises dans ma vie, mais lorsque c'est le cœur qui est touché, ça se répercute dans tout le corps. J'étais pratiquement capable d'entendre les éclats de verre qui explosaient sous ma poitrine, et je ne faisais que prier pour qu'ils cessent de me déchirer de l'intérieur.

—Je t'en supplie, Filyn, je t'en supplie !

Je m'étouffais avec mes propres mots tant l'oxygène se raréfiait dans ma trachée. Impossible de reprendre ma respiration correctement. Moi qui avais toujours été là lors de ses crises d'angoisses, où était-il maintenant que c'est moi qui avais besoin de lui ? Pourquoi n'essayait-il pas de me rassurer, de me comprendre, de me prendre dans ses bras, et de me chuchoter qu'il m'aime à en mourir ?

    Je compressais ma gorge à l'aide de mes mains, les genoux écorchés contre le bitume, et la vue brouillée par les larmes. J'étais si ridiculement pitoyable, mais en quoi ça m'importait ? J'étais en train de perdre l'envie de me battre, l'envie de vivre... J'étais en train de perdre l'amour de ma vie.

— Pourquoi tu me fais ça... me lamentais-je. Pourquoi tu n'essaies pas de comprendre, putain !

—Ça ne sert plus à rien.

Filyn, Filyn, qu'est-ce que tu pensais faire, en me tuant cruellement, mot après mot ?

—Si tu m'aimes vraiment, reste et laisse-moi t'expliquer...

—C'est terminé. Grandis, Aléan. Ça n'a rien à voir avec toi, murmura-t-il en partant.

Toutes ces fois où tu m'embrassais, tu mentais. Toutes ces nuits où tu prenais soin de moi, tu mentais. Toutes ces caresses perdues, tu les feignais. Et toutes ces belles paroles d'amour, tu les simulais.

Pas de « mon amour », pas de « Ley », un simple « Aléan » formel fut tout ce que j'obtins le dernier jour où il m'a adressé la parole. Ce fut le dernier mot qui s'extirpa de ses douces lèvres au goût amer, le jour où je l'ai perdu.

    — Reprends ça, déclara-t-il en arrachant le collier que je lui avais offert. Je n'en ai plus besoin.

    Mes larmes cessèrent de couler lorsque le pendentif atterrit à mes pieds, et qu'il partit sans se retourner. Je n'avais plus la force de pleurer pour quelque chose que je n'accepterais jamais.

Sharpened sensesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant