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Aléan

17 ans, Santa Cruz

Réponds stp. Ou appelle-moi quand tu voudras me parler... Mais ne m'ignore pas sans raison.

J'observais du coin de l'œil le message de Filyn qui venait de s'afficher sur l'écran de mon téléphone. J'avais définitivement besoin d'avoir une discussion avec lui, de lui expliquer clairement les choses. Mais les circonstances faisaient que je me retrouvais bloqué de toutes parts.

Tu m'écoutes, Aléan ? Gronda Édouard.

Si tu répètes une deuxième fois, alors peut-être.

Son poing s'écrasa violemment contre le bois du bureau. Mon attention se portait sur les feuilles qui s'envolaient sous le choc de son geste, bien que j'aurais aimé pouvoir m'extraire de cette situation aussi facilement qu'elles. Cela faisait deux semaines qu'Édouard était entré dans la chambre de Filyn, alors qu'on s'embrassait, et cela faisait une semaine qu'il utilisait cette information contre moi.

—Je fais de mon mieux pour supporter ta présence et ne pas m'énerver, alors ne me provoque pas.

—T'es au courant que si tu ne m'obligeais pas à rester dans ton putain de labo, tu n'aurais pas à me supporter ? L'interrogeai-je, tout en m'amusant avec les billes métalliques qui traînaient sur son bureau.

Il se massa lentement l'arête du nez, comme si je martelais ses derniers nerfs de patience à l'aide d'une pelle. En parlant de pelle, la cicatrice qui longeait son arcade sourcilière me faisait toujours sourire, elle me rappelait qu'un jour, j'étais parvenu à le faire souffrir, même momentanément, et ça m'emplissait de joie.

—Je ne le fais pas par plaisir, c'est parce que tu en as besoin.

—En quoi j'ai besoin de rester enfermé dans une salle de deux mètres carrés ?

—Tes yeux.

Mes yeux.
Toujours mes yeux.
La seule chose qui me rendait unique.

—T'as trouvé une nouvelle façon de me torturer,  jusqu'à ce que je puisse arrêter de voir les cons ? Ça me serait bien utile en ce moment même...

—Ferme-là, s'irrita-t-il. Le problème, c'est que tu réfrènes tes capacités, tu le sais très bien. À force de refouler ce que tu ne sais pas contrôler, tu as fini par créer une sorte de bombe à retardement dans ta propre tête.

Les billes métalliques s'aimantaient les unes aux autres, et se vidaient peu à peu de leur couleur. Plus je focalisais mon anxiété sur ces petites boules, et plus elles perdaient de leur opacité. Les paroles d'Édouard m'atteignaient plus que je ne voulais l'admettre, et je tentais de l'ignorer, mais sa voix raisonnait entre les murs du bureau.

—Tout comme Filyn s'empêche de parler, tu as toujours évité de solliciter tes capacités en journée, n'est-ce pas ?

—Ça fait plus de mal que de bien.

—Peut-être, mais les ondes qui t'ont donné ces facultés se sont ancrées à tes cellules, et ces mêmes cellules se sont multipliées excessivement.

—Et donc ?

Les billes disparaissaient, elles devenaient pratiquement translucides, alors je portai mes doigts dessus. Elles étaient toutes là, mais je ne les voyais plus, comme si mon esprit avait intentionnellement supprimé l'information de leur existence. Édouard s'empara de ce qui retenait mon attention, et le posa quelque part, au centre de la salle.

—En clair, dans les termes scientifiques, trancha-t-il en enfonçant son index dans la peau de mon front. Tu as une tumeur au cerveau.

Je rivai immédiatement mon regard sur lui, le corps paralysé.

Sharpened sensesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant