Filyn
23 ans, Santa Cruz.
Janvier, février, mars, avril, mai... les mois filaient plus vite que je ne l'aurais pensé. L'absence de compagnie était lourde à supporter au quotidien, mais mine de rien, un an s'est rapidement écoulé sans même que je ne m'en aperçoive.
J'ai appris que Lewis avait déménagé avec son père, qu'il s'excusait pour tout, et que la mort de Lucie l'avait détruit. Même s'il la voyait moins que nous, elle restait sa mère biologique, et je me dégoûtais de la lui avoir enlevé.
Les paupières fermées, je mordais inconsciemment l'intérieur de mes joues pour me réveiller. Après mon déménagement brutal, la mort de ma mère, la perte d'Aléan, l'incarcération de mon père... j'ai commencé à faire des paralysies du sommeil.
Au début, c'était comme quand j'étais petit, mais j'avais perdu l'habitude de ne pas faire des nuits complètes lorsque Aléan était à mes côtés. Maintenant que je me retrouvais encore plus isolé qu'avant... dormir me terrorisait. Puis mon manque de sommeil se transformait en souffrance continuelle, et je passais des heures assis dans la pénombre à réfléchir à ma vie. Aux erreurs successives que j'ai commises.
Moi et moi seul.J'avais l'impression d'avoir un vide béant à la place du cœur, de l'avoir tellement puisé au maximum de ses capacités, que son inaptitude était la seule chose à en résulter.
Des questions tournaient en boucle dans ma boîte crânienne, tant qu'elle était encore apte à réfléchir.
Si je l'avais écouté ?Si je l'avais aimé plus dans la douleur que jamais, serais-je resté ?
Si je n'avais pas amassé tant de rancœur, aurais-je réagi autrement ?
Si j'avais appris à me maîtriser, serait-elle morte ?
Si je ne m'étais pas égaré à ce point, aurais-je tout perdu ?
Et si on était destinés à vivre un bout de vie séparément, seulement pour mieux nous retrouver un jour ?
Peu importe ce que le destin nous réservait, il avait entravé mon avenir à l'instant où il m'avait laissé entrer dans cette chambre à cet instant précis. Bien que cet événement me semblait tellement futile, inutile... je restais persuadé que l'origine du problème provenait du surplus de haine que j'avais emmagasinée à ce moment. Je m'étais aveuglé de rancœur, et laissé guider par la rage, ne sachant comment réagir face à une trahison qui, au final, n'en était sûrement pas une.
J'aurais dû prendre le temps de chercher à comprendre, j'aurais dû lui faire confiance aveuglément, mais j'en ai simplement été incapable. La tristesse peut nous faire faire et dire des choses que nous-mêmes serions incapables d'envisager en temps normal. Le problème, c'est que j'ai agi dans la précipitation, les mots m'ont échappé sur le moment, et je ne pourrai jamais les effacer. Il m'aura fallu commettre une erreur, pour détruire les seules relations que j'avais.
Peut-être que je serais revenu vers Aléan une dizaine de minutes après, si j'étais parvenu à me calmer, et que je n'avais pas tué ma propre mère, mais la culpabilité qui s'en est suivie a été trop forte.
Je sombrais dans un cercle vicieux qui me persuadait que ma vie était condamnée à ne jamais pouvoir s'améliorer, et paradoxalement, tellement dégradée qu'elle ne pouvait que s'améliorer.
La culpabilité d'avoir ôté la vie à ma propre mère, la culpabilité d'avoir blessé Aléan... tout me poussait à m'enterrer le plus profondément possible. Tout était fait dans le but de pousser mon cœur au suicide.
Des faibles rayons de lumières se frayaient un chemin à travers les rideaux de ma chambre, insistant pour ne pas me contraindre à l'obscurité la plus totale. Mais je pense que j'aurais préféré ne pas avoir à subir mon reflet dans le miroir, qui ne faisait que me rappeler que j'étais seul.
VOUS LISEZ
Sharpened senses
RomancePour Filyn et Aléan, grandir sous le même toit depuis leurs dix ans n'a rien d'une épreuve. Dans une maison où les murs résonnent des cris de parents abjects et où l'angoisse étouffe leurs rêves, leur amitié se tisse au gré des secrets et des douleu...