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Aléan

10 ans, Santa Cruz

J'étais constamment perturbé par l'apparence des autres, contraint d'apercevoir le moindre détail anormal, et craintif qu'ils puissent en faire de même avec moi.

Ça m'avait toujours dérangé je veux dire... que ma vision se trouble à m'en faire brûler le crâne, qu'elle grossisse au point d'apercevoir les microbes contre l'évier, ou encore qu'elle détaille les composants d'un matériaux jusqu'à le traverser.

Lorsque ça se produisait, j'inspirais profondément pour me concentrer sur autre chose que le chemin emprunté par un insecte de l'autre côté de la pièce, pour ne pas butter sur les dents ternes d'un inconnu à mon opposé, conscient que son addiction au café lui causait plus de dégâts hygiéniques qu'il ne le pensait...

Mais j'avais beau chercher, j'avais beau le fixer à n'en plus finir depuis des semaines, Filyn n'avait rien.

Il sortait de sa chambre le matin, et je ne voyais ni les petites cernes habituelles, ni les millimètres de différence d'ouverture de ses paupières.

Je ne voyais pas les fibres humides de transpiration sur son tee-shirt après un effort, et je ne voyais pas non plus les grains de sable collés à ses talons après sa course acharnée contre un ballon sur la plage.

Tout ce qui me dérangeait chez les autres, était imperceptible chez Filyn.

J'avais fini par me résoudre au fait qu'autant que sa voix n'avait aucun effet sur moi, ma vue s'annulait avec lui.

Cependant, je pouvais quand même le voir dans le noir, et il pouvait quand même me créer de légères douleurs à la tête lorsqu'il s'énervait vraiment.

-Vous devriez passer un peu plus de temps ensemble les garçons, conseilla sa mère.

Hormis observer tous ses faits et gestes, déterminé à apercevoir le détail divergent, je lui consacrais peu de temps.

-Aléan, Lucie et moi voudrions que tu construises une relation de confiance avec Filyn, ajouta son père.

Ils me parlaient aussi gentiment que lorsque je m'apprêtais à demander quelque chose à mon père et je n'aimais pas ça. Comme si j'étais demeuré, et qu'ils devaient s'assurer de ne pas me brusquer pour ne surtout pas m'abrutir davantage. Ils m'avaient évité l'orphelinat, et pour ça je leur étais reconnaissant, mais j'en avais fini de répondre aux requêtes des autres.

Je me dirigeai alors dans ma chambre sans leur répondre, pour éviter de lâcher des insultes qui m'auraient mis dans une position délicate.

De ma fenêtre, j'avais une vue complète sur la plage et les touristes de première qui ne bronzaient pas d'un poil, et ça m'amusait toujours d'observer les mioches couiner pour du sable dans leurs cheveux, mais l'élément principal qui attirait obligatoirement mon attention, c'était Filyn.

Sa peau claire luisait au soleil comme s'il avait passé les dernières années à la polir, et ses cheveux blonds (qui devenaient pratiquement blancs sur certaines mèches) virevoltaient sous la pression du vent. Un vrai cinéma à lui tout seul.

J'étais tellement agacé de ne pas pouvoir voir ses cheveux s'assécher à cause du sel de mer, ou encore sa peau peler dû à l'ardeur du soleil, que je passais mes journées à l'observer des pieds à la tête, dans l'attente de l'élément singulier qui m'aurait prouvé que mes facultés marchaient sur lui.

-Qu'est-ce que tu fais ? M'interrompit soudainement la source de mes tracas, à présent face à moi.

-Rien de particulier.

Sharpened sensesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant