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Non, je ne vous ai pas abandonné, et maintenant, bonne lecture <3






Aléan

16 ans, Santa Cruz

L'armistice que signait mon cœur, après une décennie d'hostilité, mettait enfin un terme à ces querelles incessantes. Mes propres querelles intérieures. Celles qui me déchiraient en deux, chaque fois où le doute se montrait plus imposant que la certitude, lorsqu'il était question de mes sentiments.

Car ce soir je ne voulais plus me sentir oppressé par mon propre manque de discernement, et mes erreurs multipliées, j'allais avoir 17 ans, et je n'avais encore jamais trouvé un moment pour synthétiser les sensations qui s'affolaient en continu sous ma peau.

Affalé de tout mon long sur le canapé, je remerciais la faible luminosité du salon qui ne me tuait pas la vue, ainsi que l'arrière son de la télévision qui m'empêchait de crouler totalement dans mes pensées.

Cette position était une satisfaction à part entière, mais elle me contraignait à réfléchir, sans le moindre scrupule. Et réfléchir n'était pas ce que je préférais, surtout lorsque je me devais de me remettre moi-même en question.

—Tout va bien, chéri ? M'interrogea Lucie en entrant dans le salon.

Elle n'alluma pas les lumières, et vint simplement s'asseoir à mes côtés, sur l'accoudoir du canapé, une main plongée dans mes cheveux, tandis que je cachais de justesse la bière ancrée dans ma main.

J'avais pour habitude de culpabiliser, après avoir bu, parce que je le reprochais à mon père, et que, désormais, me prenait l'envie de le faire lorsque je déprimais un peu.

—Tout va bien, démentis-je.

—Tu sais, je ne t'ai peut-être pas mis au monde, mais je te connais autant que si c'était le cas. Dis-moi ce qui te tracasse.

Sa remarque m'arracha un léger sourire, mais je ne savais quoi lui répondre. S'il fallait lui admettre que son fils me mettait dans tous mes états en continu, comment l'aurait-elle pris ? Comment aurait-elle réagi, si je lui avais chuchoté que je n'envisageais en rien de construire une famille, si cela me contraignait à vivre sous un toit où il ne résiderait pas.

D'ici, je le percevais à travers le cadran de porte, écrire les notes d'un morceau de musique, et se tracasser le cerveau sans imaginer que je détaillais chacune de ses expressions depuis plus d'une heure. Un casque noir l'empêchait d'entendre quelconque bruit perturbateur, et, installé à table, sous la lumière, il n'avait pas remarqué ma présence silencieuse dans la pièce obscure adjacente.

—Tu tiens beaucoup à lui, conclut-elle en remarquant la cible de mon intérêt flagrant. Je veux dire... vraiment beaucoup.

—Comment faire autrement ?

Ses caresses maternelles se déplaçaient vers ma joue, tandis que son regard se portait, avec la même délicatesse que le mien, sur Filyn.

Il y avait, dans les yeux de ceux qui l'admiraient au loin, une si douce mellifluence qui n'aspirait qu'à le caresser du regard, que je me satisfaisais même de le voir à travers les autres.

—Aléan, je suis tellement désolée qu'Edouard t'empêche de te sentir chez toi ici, admit-elle à voix basse. J'espère que Filyn te démontre assez le contraire, chéri.

—Filyn est mon chez moi.

Celui-ci ne relevait pas le regard de sa feuille, plongé dans sa bulle, l'inspiration lui venait sans même qu'il n'ait à fournir d'effort.

Sharpened sensesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant