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Filyn

24 ans, Santa Cruz

Il m'arrive de rêver. Enfin plutôt, il m'arrive de me souvenir de tout ce qui me rendait heureux. Sans ça, j'aurais déjà abandonné toute trace d'humanité qui rode encore en moi.

Je me redresse difficilement du matelas, avec un sacré mal de crâne qui a le don de me rappeler immédiatement pourquoi je suis dans cet état. La panique me fait écarquiller les yeux et me provoque des palpitations cardiaques. La vision trouble, je tente de m'assoir convenablement, mais impossible de reprendre le contrôle de mon corps. Je fronce les sourcils pour essayer de faire disparaître la migraine qui me martyrise le cerveau, mais tout ce que j'y gagne, ce sont de désagréables vertiges.

-Super...

J'ai merdé.

Ce matin, je me suis levé avec cet arrière goût d'amertume coincé dans la gorge. Celui qui me poursuit depuis que je suis parti, et je n'ai pas pu résister à l'envie de me foutre en l'air en constatant que la seule personne qui m'aidait à garder le cap n'était pas là. J'étais non seulement seul dans ce canapé, mais également dans l'appartement entier, et surtout dans ma tête. Le pire qui puisse arriver lorsque je suis totalement seul, c'est de ne pas parvenir à rêver. Si rien d'autre n'occupe mon esprit à part les souvenirs de cette nuit cauchemardesque, il est déjà trop tard. Je déraille sans même m'en rendre compte.

Et les dégâts qui s'offrent à moi, tandis que je me retrouve en pleine crise d'angoisse, me prouvent à quel point je suis désespérant. La porte est brisée, et les feuilles éparpillées au sol ne font qu'amplifier l'effet chaotique de la situation. J'essaie de me concentrer sur ma respiration, comme me le conseillait toujours Aléan, mais le fait de penser à lui, et ne pas savoir s'il va bien me fait paniquer deux fois plus.

Lorsqu'après de maintes tentatives, je parviens enfin à m'extraire du lit, je m'appuie aux murs pour le chercher, mais il n'y a toujours aucune trace de lui. Que ce soit dans la cuisine, le salon, la chambre, la salle de bain... il n'est nulle part. A cet instant précis, quelque chose s'actionne en moi, comme une bombe à retardement enfin prête à exploser, je réalise qu'il n'est peut-être jamais revenu. Je ne pense pas être fou au point d'avoir imaginé notre dispute, mais la possibilité que je me sois consolé seul en inventant sa présence me désole.

Même à moitié conscient, je ne me vois pas briser sa porte par simple plaisir, je ne suis pas taré au point de l'imaginer me recueillir dans ses bras lorsque je me suis effondré, ni de simuler la sensation agréable de ses doigts dans mes cheveux... Je ne me pense pas capable de créer de toute pièce une situation dans laquelle il se retrouve blessé, ce serait totalement contradictoire avec tout l'amour que je lui porte.

Qu'est-il advenu de notre relation fusionnelle que l'on n'avait pas besoin d'entretenir ? Où sont passés les enfants que nous étions, et qui souffraient de ne pas se voir pendant une journée ?

J'ai passé la mâtiné à boire, en sachant pertinemment que ce serait lui qui me retrouverait dans cet état. Et maintenant, l'horloge affiche 23 heures, j'ai toujours atrocement mal à la tête, Aléan n'est pas là, et même si je refuse de boire à nouveau, les souvenirs eux sont bien présents.

Pour penser à autre chose, je me fais couler un bain, dans l'espoir que la température de l'eau me divertisse suffisamment. J'ai toujours aimé l'eau pour cette raison. Elle divertit. La vapeur qui embaume la pièce me canalise, l'égouttement régulier dans le fond de la baignoire me détend.
Plus aucun son ne se déclare dans l'appartement, hormis l'entassement de mes vêtements sur le sol.

Mon corps se fond dans la tiédeur de l'eau, et s'apaise tendrement, me poussant à basculer la tête en arrière dans un râle de soulagement. Chacun de mes bras trouve sa place sur les rebords de la baignoire, et mes jambes, trop longues, se replient quelques peu pour rentrer dans leur intégralité.

Sharpened sensesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant