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Filyn

19 ans, Santa Cruz.

Comme presque tous les samedis soirs, depuis qu'on avait fini le lycée, on se retrouvait dans ce fast-food huppé au centre de la ville avec les gars. Aléan et moi arrivions ensemble, après une heure ou deux de surf intensif, puis Siham et Caleb nous rejoignaient, au même titre que Laure. On mangeait rapidement, ils discutaient des dernières nouvelles, puis j'indiquais à Aléan que mon taux de patience était écoulé en posant ma main sur sa cuisse, sous la table, et on finissait par rentrer, ou coucher sur la banquette arrière de ma voiture, en fonction de l'humeur.

Ça se passait souvent ainsi. Les jours s'enchaînaient si rapidement que je n'avais même plus le temps de réaliser à quel point j'étais heureux. Quelques fois, Laure ne venait pas, d'autres fois, c'était Aléan et moi, mais... voir Caleb s'installer seul face à nous, le teint livide et les mains moites, n'était encore jamais arrivé.

Je rangeai instantanément ma main qui cherchait de la chaleur entre les cuisses d'Aléan, alors que Caleb s'accoudait à la table, l'air plus désespéré que jamais.

    — Pourquoi on n'est jamais allés se bourrer la gueule dans un bar, au lieu de manger ici ? Demanda-t-il simplement.

    — Sûrement parce qu'on n'a pas l'âge.

    J'échangeai un regard inquiet avec Aléan, avant de reporter mon attention sur l'accoutumance désespérée de mon ami. Ses vêtements étaient encore trempés par la pluie extérieure, et ses courts cheveux frisés dégoulinaient de gouttes d'eau, si bien que sa place était aussi humidifiée que ses yeux.

    — Qu'est-ce qu'il t'arrive ? L'interrogea Aléan.

    — Rien.

Aléan le dévisagea de longues secondes, mais comme je m'y attendais, la patience n'avait jamais été son fort, alors il se dressa au-dessus lui, et attrapa son col par-dessus la table. Rares étaient les fois où Caleb ne souriait pas comme un ahuri, alors je comprenais qu'Aléan s'inquiète vraiment pour lui, même si sa manière de procéder laissait à désirer.

    — Je ne veux pas te brusquer, mais dis-moi tout de suite ce qu'il t'arrive, le menaça-t-il.

    En premier lieu, Caleb sursauta, puis il s'empara de la main d'Aléan et l'envoya balader, avant de poser la sienne sur son cœur.

    — T'es malade ? Plus jamais tu fais ça, j'ai failli faire un arrêt. 

    Il reprenait sa respiration avec exagération, et observait silencieusement les individus qui nous entouraient, avant de murmurer, le regard bas :

    — Je ne suis plus avec Siham.

    Mes yeux s'écarquillèrent sur le champ, et ma bouche s'ouvrît, comme si le mot « pourquoi » était prêt à s'en échapper. Aléan le prononça à ma place, mais Caleb ne sût quoi répondre, et se contenta de hausser les épaules, les larmes aux yeux.

    En fait, sa révélation ne m'effarait pas parce que lui et Siham étaient des âmes sœurs ou quelque chose dans le genre, mais plutôt parce que je réalisais que deux personnes pouvaient s'aimer et se détruire.

    Ils avaient grandi et appris à se connaître en même temps qu'Aléan et moi, ils s'étaient mis ensemble quasiment en même temps que nous, alors les voir se déchirer en deux me faisait bizarre.

    Malgré l'amour qu'ils se portaient encore -car on n'oublie pas du jour au lendemain, un cœur que l'on voulait aimer toute sa vie- ils parvenaient à se briser.

Sharpened sensesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant