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Aléan

24 ans, Santa Cruz

Les jours de la semaine se sont si rapidement enchaînés que j'en ai perdu le compte. C'est impressionnant à quel point une personne peut tellement empiéter sur notre esprit, qu'on en perd complètement la notion du temps. En tout cas, on est samedi, ou peut-être vendredi, Filyn traîne sous la douche, et moi je lis l'arrière d'un paquet de spaghettis, en tentant de me rappeler comment cet idiot avait pu mettre les pâtes dans la casserole, avant de faire bouillir l'eau.

Sans en avoir conscience, un faible sourire naît sur mes lèvres au souvenir de cette soirée, dans notre maison d'enfance. A l'époque, tout était si simple.

La nostalgie a bien intérêt à disparaître si je ne veux pas ruiner le semblant de bonne humeur qui m'emplit, pour une fois. Je mets mon casque sur mes oreilles, et ferme momentanément les yeux, le temps que l'air de guitare que Fil me jouait quand on était petits imprègne mes tympans. Mon corps réagit par automatisme, et mes doigts tapotent le comptoir de la cuisine en rythme avec le son.

C'est si doux. Ça me rappelle chacun de ses mouvements. Et je me retrouve en pleine extase, face à de vagues souvenirs de moins en moins nets, qui s'effacent de ma mémoire à mesure que le temps passe.

J'observe l'eau bouillir du coin de l'œil, et retourne me morfondre dans mes rêves en appuyant mon menton sur mon poing. Lorsque la porte de la salle de bain s'ouvre, je décale un côté du casque pour entendre ce qui se passe.

-Perdu dans tes pensées ? M'interroge Filyn en sortant de la douche, alors que ses mains sont occupées à sécher ses cheveux blonds.

Mon regard se porte au niveau de son bassin, sans écouter les ordres qu'envoie mon cerveaux. Je détaille le v que forment ses hanches en se perdant sous le morceau de tissu qui lui sert de jogging, et je mords mes joues pour ne pas avoir de réaction déplacée.

-Tu sais très bien ce que tu fais blaireau, marmonné-je alors qu'il sourit mesquinement.

-Je sais toujours ce que je fais.

Dans le silence, il s'assoit à table sans me lâcher du regard, et j'en profite pour replacer correctement l'objet sur ma tête, histoire de m'engouffrer à nouveau dans une bulle apaisante.

Quant à lui, ses gestes sont répétitifs et plutôt canalisés. Il s'acharne à frotter la serviette sur son crâne pour annihiler ses cheveux soyeux de toute trace d'eau restante. A mon plus grand regret, je n'ai aucune raison particulière de lui demander l'autorisation pour le faire à sa place. Pourtant ce n'est pas l'envie qui m'en manque... ses cheveux ont toujours éveillé chez moi, une vile passion ardente. Et rien que les toucher, me fait frissonner.

Je veille toujours sur l'eau, et tourne le dos à Filyn pendant un court laps de temps pour y ajouter les spaghettis. C'est uniquement lorsque la musique sur mes oreilles s'éteint, que je réalise qu'il se trouve derrière moi, et qu'il vient de me voler mon casque pour le poser sur son crâne.

-Je vois... souffle-t-il contre l'arrière de mon crâne en découvrant quel son j'écoute en boucle.

Le corps paralysé, je touille nonchalamment le contenu de la casserole pour divertir mon esprit perturbé. Son air chaud ricoche toujours contre ma nuque lorsqu'il se penche en avant pour déposer son menton sur mon épaule, tel un animal en manque d'affection. En une grosse inspiration, je rassemble suffisamment de courage pour décaler le casque qui recouvre son oreille, et déposer les lèvres contre son lobe.

Je savais déjà que cette partie de son corps était son talon d'Achille, mais le voir rougir sur le coup me surprend toujours.

-Je pourrais jouer pour toi, comme avant, admet-il en partant s'installer dans mon canapé.

Sharpened sensesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant