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Aléan

24 ans, Santa Cruz

La vitesse à laquelle les gouttes de pluie longent le trottoir me fascine. Elles se succèdent, et je les observe se submerger consécutivement, parvenant toujours à les distinguer lorsqu'elles ne font plus qu'un.

-C'est fou comme une pauvre goutte de pluie descend le trottoir deux fois plus vite que nous.

Filyn cesse de marcher. Il me lance un regard gris et admiratif, avant de me demander :

-T'arrives à voir les gouttes de pluie ?

-Hmm, oui ?

-Je sais que tu vois beaucoup de choses Aléan, mais de l'eau qui a imprégné du goudron...

Mon attention se porte à nouveau en direction du trottoir goudronné à travers lequel je perçois de longues lignes blanches. Ça peut paraître étrange, mais je sais que ces lignes sont juste de l'eau, qui a pénétré le sol.

Seulement, j'oublie souvent que je suis le seul à distinguer ce genre de choses. Alors je m'accroupis en soupirant, le regard rivé vers Filyn qui me sourit tendrement avant de s'abaisser à mon niveau à son tour.

-C'est rien Ley, chuchote-t-il tout en caressant mon front avec son pouce. Regarde, tu n'es pas le seul à être bizarre.

Tout en prononçant sa dernière phrase en direction du sol, il saisit ma main pour la placer contre sa gorge. Je ressens les fortes vibrations sous ma paume, ainsi que les légères décharges qui se créent entre nos peaux en contact. Mais surtout, je vois les longues traces blanches faire des zigzags sous le sol, comme si la voix de Filyn parvenait à faire dévier leur trajectoire.

-Vous avez fini vos conneries ? Hurle Caleb qui marche une centaine de mètres devant nous.

Ce demeuré ne se préoccupe ni de l'heure tardive, ni du voisinage qu'il risque de réveiller, et c'est ce qui provoque un léger sourire sur mon visage. Cependant Filyn lui, il ne sourit plus. Je dirais plutôt que l'envie d'enfoncer le visage de Caleb dans le sol le démange depuis qu'il nous a interrompu dans le parc, il y a plus d'une heure.

-Allez Filyn, tu joueras avec les scarabées plus tard, ajoute-t-il d'un ton peu serein, pas besoin de me faire flipper avec cette tronche.

Un rictus amusé se dessine sur les lèvres du blond, qui glisse son pouce le long de son cou pour faire comprendre à notre ami qu'il est déjà mort.

-Heureux de t'avoir connu Aléan, me déclare-t-il en amplifiant sa voix à l'aide de ses mains de chaque côté de sa bouche. Tu peux m'avouer que vous couchez ensemble, maintenant que je vais crever ?

Caleb prend la fuite après avoir lâché sa bombe, et reprend sa marche.
Même dans la pénombre, je sais que Filyn perçoit les tons rosâtres soudainement apparus sur mes joues et ma nuque. Je m'attends à ce qu'il secoue la tête pour lui certifier que non, on ne couche pas ensemble, du moins plus maintenant...Mais contre toute attente, il se penche juste au-dessus de mon oreille, et ses mots glissent lentement contre mon lobe avant d'atteindre mon tympan.

-Tu pourrais très bien lui dire que oui. Lui avouer que j'ai vu, et touché bien plus qu'il ne peut l'imaginer Ley...

Je manque de m'étouffer. Son index frôle ma mâchoire, tandis qu'il me susurre à l'oreille combien il regrette de ne pas pouvoir le lui prouver là tout de suite. Combien il regrette de ne pas lui avoir révélé la vérité des années auparavant.

-Tu penses qu'il réagirait comment ? Poursuit-il. S'il savait que quand on sortait du cabanon les joues rouges et le souffle court, on n'avait pas juste galéré à enlever nos combis ?

Sharpened sensesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant