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Aléan

24 ans, Santa Cruz

Le sang coule depuis pratiquement dix minutes, et refuse de s'arrêter de couler.
La plaie est fine, peu profonde, mais elle compte me poursuivre jusqu'à la fin de la soirée, alors que Filyn m'attend dans le salon sans savoir que je suis incapable de décapsuler une bière sans m'ouvrir les doigts.

L'écran de mon téléphone s'allume au pire instant possible. Entre le poing de Filyn qui résonne contre la porte, mon instabilité qui me fait renverser du sang sur mon tee-shirt blanc, et la vibration de l'appareil électronique prête à m'engouffrer dans mon angoisse, je panique.

Caleb 
Je passe te voir
22h04

Cerise sur le gâteau, ce n'est rien d'autre qu'un message de Caleb qui n'a rien de mieux à faire que passer me voir. J'enroule mes doigts d'un bandage humide qui est tombé dans l'évier il y a quelques secondes, avant de saisir la poignée tant que Filyn ne l'a pas encore explosée. À l'instant où mon visage apparaît dans l'embrasure de la porte, il saisit mon menton entre son index et son pouce, puis scanne attentivement mon visage. Ses yeux circulent le long de mes traits principaux, jusqu'aux mains cachées dans mon dos.

-Ley ? M'interroge-t-il, suspect. Montre.

Je soupire tout en ramenant devant moi ma main écorchée, encore enrobée de sang frais. Je vois dans son regard grisâtre que ça ne l'étonne pas tant que ça, il en est même...amusé ? Sa taille imposante me fait me sentir tout petit et insignifiant, tandis qu'il me trimballe à travers la pièce pour me faire assoir sur le comptoir de la cuisine. Avec assurance et l'air de savoir ce qu'il fait, il dirige mes doigts sous l'eau tiède du robinet afin de les nettoyer soigneusement tel de petits objets de verre qu'il ne faudrait pas faire tomber.

Son attention est totalement consacrée à ma main, qui commence réellement à me brûler sous la chaleur de l'eau, et alors que je contiens mon irritation, le sourire asymétrique qui parfait son visage, totalement inadéquat pour la situation me fait bouillir de l'intérieur.

-Y'a rien de drôle blaireau !

-Si, affirme-t-il, tu as réagi exactement de la même manière la première fois que t'as essayé de me cacher une blessure. 

Son putain de sourire s'amplifie sans qu'il ne me regarde dans les yeux une seule petite fois, il est incomplet, et maintenant je perçois le mélange entre la nostalgie et l'affection. Soudainement je me sens envahi de peur, car pendant qu'il nettoie ma plaie, et la bande d'un tissu propre pour appliquer une pression légère sur la blessure, il repense à moi. Mon esprit ne peut s'empêcher de se demander si j'envahis ses pensées autant qu'il parcourt toutes les miennes. Quelle image garde-t-il de l'adolescent que j'étais ? Ou si, par le plus grand des miracles, il ne me tient finalement pas rigueur de mon erreur passée ?

-Le sang ne gicle pas, normalement t'as pas touché d'artère. Mais sois plus attentif la prochaine fois.

Voila. C'est ce que me fait Filyn Vasquez depuis tout petit. Il réveille tous mes neurones un à un en appuyant sur la détonation de la bombe, puis il finit par contenir contentieusement l'explosion entre ses deux paumes de mains.

Cet abruti ne m'a jamais dit explicitement de ne plus refaire quelque chose qui m'a causé un accident, il ne m'a jamais demandé de faire appel à lui pour ne pas me blesser à nouveau, il ne m'a jamais fait culpabiliser d'être maladroit. Tout ce qu'il s'est toujours efforcé de faire, c'est m'encourager à ne pas reproduire les mêmes erreurs. A faire plus "attention".

Sharpened sensesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant