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Aléan

24 ans, Santa Cruz

Je grogne d'impatience tandis que mes doigts s'emmêlent avec la cravate desserrée autour de mon cou. Dans une autre vie, je suis sûr que j'utilise cet accessoire en tant qu'objet de torture. Cette accoutumance n'est pas des moins charismatiques je dois l'admettre, mais c'est un miracle si je parviens à finaliser ma tenue sans exploser de nerfs avant.

Si on m'avait dit il y a des années, que je fournirais autant d'efforts pour un mariage -bien qu'il s'agisse de celui de Siham- j'aurais ri très fort. Mais j'en suis là, à me demander si un jour je pourrais moi aussi effleurer l'espoir de porter une bague à mon annulaire, tout en nouant les extrémités de la cravate avec nonchalance et peu d'expertise.

L'ironie de l'histoire c'est que j'accepte de me rendre à la cérémonie, par respect pour mon amie, mais... par respect pour mon autre ami, je devrais l'envoyer se faire voir. Ce n'est pas de tout repos, que de trancher en la faveur d'un de mes meilleurs potes, en dépit du malheur de l'autre.

Surtout lorsque j'ai assisté au développement de leur relation, ainsi qu'à la fin.

L'odeur galvanisée qui flottait dans l'air, le jour où Caleb s'est pris la tête entre les mains en nous avouant avoir embrassé Siham me revient en tête.
Ses joues cramoisies me faisaient atrocement sourire de fierté, car il avait enfin admis ce qu'il refoulait depuis un bon moment, contrairement à moi. A l'époque, il avait eu plus de courage.

Chacun des instants passés auprès d'une personne, peuvent-ils s'envoler miraculeusement ?

Sommes-nous destinés à reproduire les mêmes mauvais schémas, qui nous poussent à nous attacher à des personnes, qui finiront forcément par trouver une raison de s'en aller ? Quitte à laisser derrière elles les milliards de souvenirs créés...

Le fracas de la porte de ma chambre me fait sursauter au point de glisser de mon fauteuil. Je me rétame contre le sol plus vite que prévu, et maudis ma vue de me faire faux bond dans une telle situation. Les nuances de couleurs tournent vers le noir, alors que je connais par cœur les tons blancs cassé de mon plafond. Je reste statique contre le sol, le regard rivé vers ce qui me soudoie une énergie atroce.

—T'es tombé ? M'interroge Caleb, toujours sur le pallier de la porte.

—En général je m'étale contre le sol par pur plaisir, rétorqué-je avec lassitude.

—Sérieusement ? S'indigne-t-il en s'empressant de s'affaler à côté de moi, le dos contre le parquet. Ça procure quelle sensation ?

La stupidité dont il fait preuve ne m'étonne même plus, alors je soupire juste, et reporte ardemment mon attention vers le plafond toujours aussi sombre. Les ombres affluent si vite que je pense apercevoir les pas de mes voisins du dessus.

—T'es prêt ?

—Presque, et toi ?

—Je suis habillé, coiffé, et... approximativement préparé mentalement, m'avoue-t-il à voix basse.

Son teint me semble livide, fatigué, même si je suppose que je ne suis pas position d'émettre un avis dessus, vu mon acuité visuelle actuelle. Je balaye du regard le reste de son corps, son costume lui va à merveille, ses cheveux bruns et courts bouclent correctement sur son crâne, alors je me demande ce qui le rend si... affecté.

—Filyn ne devrait pas tarder à sortir de la douche.

—Ce qui veut dire qu'on ne devrait pas tarder à partir, conclus-je, ça va le faire pour toi ?

—Ça va le faire pour moi, admet-il à contrecœur muni d'un large sourire, c'est censé être le plus beau jour de sa vie, alors ce sera le mien. Je veux juste la savoir heureuse.

Sharpened sensesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant