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Filyn

16 ans, Santa Cruz

L'apogée de mon existence.
C'était l'impression que me donnait cette période de ma vie, durant laquelle je possédais tout ce que j'avais toujours désiré. Une période durant laquelle je souriais en continu.

Probablement la seule.

J'avais pris pour habitude de caresser ma cage thoracique par moments, car mes battements de cœurs s'emballaient au moindre écart de mon esprit. Il fallait que je me concentre sur les événements présents, pour ne pas divaguer vers de vagues souvenirs de câlins, de baisers, de caresses...

S'il avait déjà le monopole dessus auparavant, Aléan était devenu le centre de ma vie, ainsi que de mes pensées. Je devais m'obliger à ne pas le regarder, mais il m'était difficile de ne pas satisfaire ce besoin irrépressible qui m'implorait de l'avoir sous les yeux.

Il m'arrivait de faire attention à ses moindres faits et gestes. M'allonger à ses côtés le soir, et découvrir de nouveaux désirs éclore dans mon corps. Je passais inconsciemment de longues heures à repousser le sommeil, dans l'unique but d'observer son profil.

Je restais là, à l'aimer dans le plus doux des silences, sans rien attendre en retour.

—Filyn, tu t'actives ! Me gronda notre professeur principal.

Celui-ci me lançait une éponge gorgée d'eau et de savon que j'attrapai au vol. Le lycée nécessitait de fonds pour financer je ne sais quel projet, et notre professeur avait décidé d'emmener sa classe récolter de l'argent sur le parking d'un café, au centre de la ville.

Ainsi, on se retrouvait là, en début d'après-midi, à mourir de chaud sous l'ardeur du soleil, pour nettoyer les voitures d'inconnus qui le souhaitaient.

Je préférais lorgner les boissons fraîches servies aux clients du café à travers la vitrine, que de m'épuiser à frotter des carrosseries crasseuses.

Mes bagues -que j'aurais mieux fait d'enlever- s'enduisaient de substances huilées et mes mains noircissaient à mesure que je nettoyais les freins à tambour. Je retenais mon envie pressante de ramener mes mèches de cheveux en arrière, alors qu'elles me retombaient juste devant les yeux, penché en avant pour nettoyer.

Les muscles de mes cuisses se contractaient pour soutenir mon poids, afin que je ne tombe pas de déséquilibre, et, concentré ardemment dans ma tâche, je n'avais pas remarqué la présence d'une fille de la classe, dressée à mes côtés.

—Hum, se manifesta-t-elle en se raclant la gorge. Filyn, tu as besoin d'aide ?

Je relevais furtivement les yeux sur son visage souriant, qui argumentait ses mimiques timides, avant de prendre la peine de finir ce que je faisais.

Mon intention n'était pas de l'ignorer avec condescendance, c'était involontaire, mais je trouvais juste inutile de perdre mon temps à essayer de lui communiquer que je préférais être seul. Alors, quitte à être indifférent, autant le faire jusqu'au bout.

—Je t'ai ramené un seau d'eau ! S'exclama une seconde étudiante de notre classe, en accourant à mes côtés.

Je la remerciais d'un bref sourire en acceptant son attention, avant d'y plonger mes mains pour les nettoyer.

Profitant alors d'avoir les doigts propres et humides, je ramenai mes cheveux en arrière, afin qu'il ne me gênent plus jusqu'à la fin de la journée.

Puis, d'un sourire conciliant, j'essayais de ne pas sembler trop orgueilleux envers ces filles qui avaient passé presque un an dans ma classe, mais dont j'avais vaguement retenu le prénom, avant de m'éclipser.

Sharpened sensesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant