Comment suis-je arrivé là ? Pas la moindre idée. Tout ce que je sais, c'est que si je continue à monter, j'atteindrais bientôt la falaise. La forêt me regarde mais c'est juste par curiosité.
La vie est belle – je cueille des fraises – elles sont sucrées. Il y a des chances pour que cet endroit n'existe même pas. Ce n'est sûrement qu'un rêve, de ces délices brumeux que l'on idéalise à travers les histoires. Peu importe, il faut avancer.
Je continue, le cœur léger, le pas entreprenant. Je fais mine de ne pas remarquer que ce sentier espiègle s'amuse à faire disparaître les arbres en même temps qu'il rétrécit. Il y a de plus en plus de rochers, ces rochers lisses et gris recouvert de lichen.
Encore quelques mètres et... (?) Une fille. Une fille se tient là, assise sur une grosse pierre. Elle me regarde et rit car j'ai la bouche ouverte. J'ai dit « la bouche ouverte » ? Je voulais dire « la mâchoire décrochée ».
Elle me tend la main et m'invite à la rejoindre. Je ne vois plus la falaise, je ne vois pas la vue, je ne sens plus le vent ; je ne vois plus qu'elle et c'est une obsession. Elle est douce comme un nuage (je n'ai jamais touché de nuages mais je suis sûr que c'est très doux), d'une ineffable beauté.
Et nous voici tous deux, comme au sommet du monde. J'aimerais bien l'embrasser mais c'est elle qui m'embrasse. Mon palpitant explose, je vois des arcs-en-ciel. C'est bon, c'est très bon. Nous nous lâchons enfin. Je la regarde maintenant et je me dis que je veux la regarder tous les jours.
Que se passe-t-il ? Je n'ai plus d'équilibre. Non, ce n'est pas l'ivresse du baiser. Je tombe pour de vrai. Je ne m'étais pas rendu compte que nous étions si près du gouffre. Je tends les mains vers l'avant pour qu'elle me retienne mais elle n'en fait rien et me regarde sans expression.
L'instant est trop long. Pourquoi n'essaie-t-elle pas de me rattraper ? Je ne la vois plus... je veux dire, son visage est flou.
Ça y est, je tombe.
Pourquoi ne m'a-t-elle pas rattrapé ? J'ai peur de mourir. On était pourtant bien là-haut. Je vais mourir. Je crois que je l'aimais.
Je tombe encore, abasourdi, sans crier. Et puis la rage me gagne peu à peu. Si je savais me servir d'une tronçonneuse, j'irais couper tous les foutus arbres de cette foutue forêt. La vie est comme une chienne hurlant pour qu'on la baise. Elle te mordra dès que tu auras le dos tourné. Je perds le contrôle - plus rien ne compte - j'emmerde ce monde...
Où suis-je ? Il fait noir et l'air est acide. Mes vêtements sont mouillés. Je devrais être mort. Il me semble que je n'ai rien de cassé juste une forte douleur à la poitrine. J'essaye de me relever mais glisse maladroitement dans le liquide glacial qui m'entoure.
Ça fait combien de temps que je suis ici ? Mes proches doivent s'inquiéter. J'avance à tâtons dans ce lieu sombre et humide. Il y règne un calme abyssal, presque reposant. Mais je dois partir à tout prix.
J'aperçois une lumière. Je me dis que ce n'est pas toujours bon signe. Tout va bien, c'est juste la sortie.
Dehors, il y a toujours les arbres et le bruissement des feuilles. Je sens le vent sur ma peau. Je suis vivant.
Il y avait une falaise dans cette histoire, il fallait bien que je tombe. En tout cas, il m'aura fallu beaucoup moins de temps pour descendre que pour monter. Quelle pensée étrange en cet instant.
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Le cabinet des curiosités
Historia CortaIl y a dix ans, j'entamais l'écriture d'une série de chroniques. Sujets de société, histoires, poèmes, coups de gueule, à lire dans l'ordre ou dans le désordre... En voici une sélection, une ébauche de ce projet qui compte aujourd'hui plus d'une cen...