Les fantômes

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Salut.

J'étais à la fenêtre l'autre jour. Il était trois heures du matin. C'est là que je l'ai vu. Une ombre nocturne, une apparition fantomatique. Habillée d'une grosse veste beige et sale, la silhouette traînait des pieds. Impossible de voir son visage. Impossible de dire s'il s'agissait d'un vrai humain ou d'une hallucination nocturne.

Le type avançait sans but, capuche sur la tête en plein été, en buvant des gorgées d'une de ces bières dégueulåsses qui ne coûtent rien et vous envoient au paradis des alcoolıques en deux temps trois mouvements.

Il est ensuite allé s'asseoir à la terrasse d'un bistrot, seul dans la nuit.

Je fais partie de ces gars qui pensent que nous sommes responsables de ce qui nous arrive. La vie ne nous en veut pas, nous faisons simplement ce qu'il faut pour la rendre difficile.

Cette ombre est responsable de son malheur comme nous sommes responsables du sien en tant que communauté. Comme un organisme qui aurait des cellules malades parce qu'il s'est laissé aller.

Bah ouais les gars... On ne peut pas dire "oui, il faut payer ses impôts parce qu'on doit participer à la société", "oui, vivre en marge de la société ça veut rien dire, parce que la société c'est nous..." et puis se débiner dès qu'on voit un SDF.

Il y a en a de plus en plus des fantômes. A croire que le monde est hanté. J'en connais certains depuis longtemps. C'était des types sympas avant et puis ils pètent les plombs. Comme ça, du jour au lendemain.

Des pauvres types qui ne supportent plus leur réalité. Ils ont été trahis, rejetés et puis oubliés. Ils sont transparents, on n'y fait plus gaffe. Ils sont là, dans le paysage, comme les voitures de flıcs qui descendent la rue ou les trottinettes qui trottinent.

On ne veut pas les regarder parce qu'ils nous rappellent qu'on peut tout perdre, jusqu'à la raison. On se ment à soi-même en se disant que ça nous arrivera jamais à nous.

Vous vous croyez à l'abri ?

Les dettes, les chagrins d'amour, la mauvaise fortune, ça n'arrive pas qu'aux fantômes. Il y en a parmi eux qui avaient tout, la situation, le niveau d'étude et la famille. Et... Plus rien.

La société des hommes est malade, l'organisme défaillant. Les spectres de la rue nous le rappellent chaque jour.

Habiter dans une région riche ou pauvre, ça ne change rien. Nos pays fabriquent des fantômes, des entités chancelantes arpentant les pavés. Ils marchent de concert au bord d'une falaise abrupte et se laissent tomber de tout leur poids vers les honteuses abysses de notre indifférence.

Je meurs de tristesse pour eux tandis qu'ils mourront seuls, loin de nos considérations du moment.

Ce texte n'a pas de fin heureuse, j'ai juste vu un fantôme...

Ah si.

L'autre jour, je buvais une bière avec une amie à la terrasse d'un petit resto. Face à nous, un type qui faisait la manche. Il avait l'air d'aller mal. Peut-être avait-il un problème de santé ou juste faim. Il se tapait l'arrière de la tête contre la vitrine sur laquelle il était appuyé. C'était d'une indicible tristesse.

Le magasin paraissait fermé, porte close et rideaux tirés. Hélas pour lui, quelqu'un est sorti pour lui demander de partir. "Allez, dégage, tu tapes sur ma vitrine"! Le gars a essayé de s'expliquer mais la vieille dame continuait de vociférer. L'homme s'est décalé sur l'entrée d'immeuble d'à côté.

Quelques minutes plus tard, la patronne du resto où on était posé arrive. Elle se dirige vers le SDF avec un sac plein de nourriture. De la viande en sauce, des plats cuisinés... Le type n'en revenait pas.

Ce que la patronne ne savait pas, c'est qu'elle venait de redonner espoir à un homme au moment précis où tout allait mal pour lui. Et son mal être disparu derrière un sourire lumineux.

Quand je vois ça, j'y crois encore.

L'humain, ce ne sont pas que ces idiots qui s'imaginent intouchables parce qu'ils ont vendu trois maisons, ce ne sont pas ces frontaliers qui viennent nous expliquer "qu'il faut faire des sacrifices dans la vie" avant de repartir la queue entre les jambes après s'être fait lourder, ce ne sont pas ces fils à papa qui veulent nous faire croire qu'ils ont tout construit de leur main, ce ne sont pas ces piliers de bar sans cervelle qui finissent toutes leurs journées au
Ricard en pestant sur "les assistés".

L'humain, ce sont les bons côtés, ceux qu'on retiendra. C'est une main tendue vers un inconnu. C'est un peu de son temps, un peu d'imagination pour comprendre la douleur. C'est un sourire gratuit et un petit sac de bouffe.

Merci patronne, tu déchires. Cet homme vivra une journée de plus en se disant qu'il y a encore peut-être un espoir...

Le cabinet des curiositésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant