Note aux pauvres bougres qui étaient dans le coma depuis deux ans : le monde est en train de craquer.
Et si vous pensez qu'il ne s'agit que d'une petite crise passagère ou que le réchauffement climatique est notre seul problème, c'est qu'il est temps de prendre la pilule rouge avec un grand verre d'eau (profitez-en de l'eau, parce qu'un jour y'en n'aura plus).
La fusion nucléaire ne nous sauvera pas. Les guerres non plus. Ah oui, et la croissance est un mythe qu'on essaie de faire gober aux prolétaires pour que la pilule bleue ne les étouffe pas.
Nous, les petites gens, continuerons d'être des moutons espérant désespérément que le progrès social nous sorte, par un beau jour de mai, de notre esclavage moderne.
Non, pour qu'il y ait des riches, il faut qu'il y ait des pauvres. C'était comme ça à l'époque des pharaons et ce sera encore comme ça demain.
Notre seule alternative ? S'entredévorer, marcher sur les plus faibles pour sortir un peu la tête de l'eau.
Ambiance de fête.
Ça a commencé à l'école, véritable filtre social : soit tu rentres dans le moule, soit on te range dans la case "inadapté". On nous inculque l'esprit de compétition avec comme toile de fond, des formules à apprendre par cœur et des informations superflues. On nous note, on nous évalue et on nous monte les uns contre les autres. Esprit critique : zéro. Rivalité et bourrage de crâne : vingt sur vingt.
Voilà, t'arrive dans la vie et t'as ça devant toi, c'est ton premier modèle.
Et puis, il y a la société.
Tu dois réussir et réussir, c'est gagner de l'argent. Tu dois mériter ton eau courante et ton système de santé. On te dit qu'il vaut mieux bosser toute sa vie dans un boulot stable qu'on aime pas plutôt que de faire ce qui nous plaît. Il faut "assurer la cantine".
Le fait est que nous serions bien meilleurs dans ce qui nous plaît. Mais les esprits ayant pondu les préceptes de cette éducation ne s'en doutent même pas, trop occupés qu'ils sont à broyer des potentiels.
Ils sont si courageux ces gens qui bossent toute leur vie pour nourrir leurs enfants. Quelle abnégation ! Arrivés à la retraite, les voici désemparés. Ils ont des idées sombres, victime de l'obsolescence programmée. "A quoi bon vivre maintenant que je ne sers plus à rien ?"
Et si nous étions en fait dans une boucle temporelle ? Nous nous sacrifions pour élever des enfants qui se sacrifieront à leur tour pour élever leurs enfants qui se sacrifieront à leur tour pour... OK, OK, on a compris.
Il y avait une fille l'autre soir à notre table. Vingt ans, tout au plus. Elle avait un visage d'ange et le physique d'une modèle Aubade. Son premier souhait dans la vie : gagner beaucoup d'argent. Le deuxième : modifier son corps pour ressembler à une influenceuse. Les lèvres déjà botoxées, des faux cils tellement longs que j'ai failli marcher dessus. Elle était fier de nous annoncer qu'elle avait économisé 6000 euros pour une chirurgie mammaire...
La belle n'est pas bête ou superficielle. Elle est juste malade. En regardant ça de plus près, elle est parfaitement adaptée à la société, en phase avec ses exigences actuelles.
On s'en fout d'être heureux, on veut être beau et riche.
À ce rythme-là, on va bientôt communiquer par onomatopées. Sachez toutefois, bande de petits coquins, qu'avec la simplification du langage viendra la simplification de la pensée. On ne débat plus sur les sujets de société, on est soit pour, soit contre.
Non, le réchauffement climatique n'est pas notre seul problème. En fait, ce n'est que le sommet de l'iceberg qu'on va se prendre dans la gueule. Manque de pot, les concepteurs du bateau n'ont pas prévu assez de canots de sauvetage.
Spoiler alert : vous n'allez jamais rencontrer de riche héritière et vous ne serez jamais le roi du monde.
La vie, c'est plutôt comme dans Aladin. Tu dois te faire passer pour quelqu'un d'autre et sortir la gold card si tu veux pécho la princesse.
Cette société est malade, on ne le dira jamais assez.
Ne croyez plus les grands médias, ils vous désinforment. Pas quand ils nous disent que l'homme a marché sur la lune mais quand ils nous vendent une société idéale comme on vend un aspirateur. Ces trolls modernes sont alignés au discours officiel, ce dogme qui voudrait nous faire croire que croissance et progrès sont équivalents.
Le progrès, c'est tout ce qui va dans le sens d'un changement instantané et drastique de notre mode de vie. Ce sont vos potes qui veulent vivre en autonomie ou votre ex qui a tout plaqué pour élever des poules. .
Le progrès, c'est l'entraide spontané et la bienveillance.
C'est quand on freinera nos ardeurs de consommateurs compulsifs et qu'on protégera la biodiversité. Rien ne nous empêche d'innover sans détruire, rien ne nous empêche de changer la société sans se révolter.
Le progrès, c'est l'intelligence collective et non le cloisonnement de la pensée. On aura progressé quand on sera capable d'exploiter tout notre potentiel, LES potentiels.
La vie n'est pas une jungle et encore moins un échiquier.
L'homme ira visiter les étoiles s'il survit jusque là. Il est curieux par nature et croire qu'il se contentera de vivre d'amour et d'eau fraîche, c'est faire semblant de ne pas le comprendre. Oui, il continuera d'innover et de soigner les maladies.
Je vous le dis : nos problèmes sont bien incrustés, ils touchent à la structure même de la société. Ce n'est pas un coup de balais qui nous sauvera, ni une nouvelle technologie, ce n'est pas un ticket de loto gagnant ou une décision politique. Sans un changement profond de nos systèmes de pensées, nous ferons encore et encore les mêmes erreurs, comme des fous répétant les mêmes gestes chaque jour en espérant un résultat différent.
Soyons plus justes, plus cohérents et plus rationnels. À notre connaissance, cette petite planète est le seul endroit de l'univers abritant la vie. Cette vie est précieuse et nous devrions en être les protecteurs. La vie de tous les êtres vivants, y compris la nôtre.
Notre éducation, nos dogmes et nos certitudes doivent voler en éclat. Notre rapport à l'argent, à la réussite, notre définition du bonheur les suivront, dès que nous ouvrirons les yeux.
Je vous le dis sans détour : notre seule chance aujourd'hui, c'est l'utopie.
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Le cabinet des curiosités
Short StoryIl y a dix ans, j'entamais l'écriture d'une série de chroniques. Sujets de société, histoires, poèmes, coups de gueule, à lire dans l'ordre ou dans le désordre... En voici une sélection, une ébauche de ce projet qui compte aujourd'hui plus d'une cen...