Les fourmis

145 16 10
                                    

A douze ans, je fais mes premières conneries. Je vis dans la campagne avec mes parents, le ciel est bien bleu et les oiseaux chantent comme si c'était la dernière fois.

Je regarde les fourmis. Ce qu'il y a d'incroyable avec les fourmis, c'est qu'elles sont comme « connectées ». Attends, tu t'es jamais questionné sur la connexion des fourmis ?! Bon, ok. Je peux comprendre. Mais quand une fourmilière se fait attaquer, il suffit de quelques secondes pour que tout l'immeuble soit au courant. Ces satanés scientifiques, qui croient toujours tout savoir, me disent que ce sont les phéromones, une substance volatile, blablabla... Je préfèrerais croire que c'est de la télépathie mais je crois qu'ils ont un peu raison quand même... Bref, je reste des heures, assis là, à les observer.

Quand on vit dans un village, on a vite fait le tour. Je me sens seul des fois. Et là, à peine le temps d'apprécier ma solitude, le ciel qui chante et les oiseaux bien bleus que je me retrouve en ville, en plein milieu de la fourmilière. Et... Toujours rien.

Malgré l'organisation apparente, les usines, les écoles, la société elle-même, je me sens encore seul. Je regarde un reportage qui parle d'une catastrophe naturelle, les gens s'entraident, c'est beau, me dis-je, des étoiles dans les yeux. Et dans trois mois, ils passeront devant un mendiant, celui-là même qui leur a tendu la main au moment du drame, sans le voir. Oulala ! Nuage noir. Ça y est, je suis aigri. C'était couru d'avance...

A vingt ans, j'écoute « l'auvergnat » de Brassens, je regarde Frankenstein. Attends voir... Alors j'attends. J'attends. Et... je vois ! Je découvre enfin une forme de connexion entre les gens. Pour la première, la bien-pensance des « gens bien comme il faut » dénoncée par le poète et pour la deuxième, l'effet de groupe des « villageois » qui courent après la créature. Eh ben... C'est pas la folie.

Qu'est-ce qui cloche ? C'est moi ? C'est eux ? C'est nous ? Il me faut plus. Mais quoi ?

Les années passent. Je m'intéresse à tout, la politique, l'écologie, l'astronomie, le sexe. Le sexe, c'est bien. On est connecté, mais à deux seulement, la plupart du temps. Le smartphone est devenu indispensable. Internet est dans toutes les maisons. Les scientifiques, grands découvreurs des phéromones de la fourmi, avancent très vite dans leur recherches grâce aux big datas. De gigantesques bases de données qui rendraient pâle de jalousie la génération d'Einstein. Alors ça, c'est vraiment bien tant que ça ne sert pas à créer des armes de destruction massive... Je m'égare. Restons zen. Non, c'est bien quand même ? Oui, c'est bien.

A trente ans, je m'attarde sur facebook. Bizarrement, j'aime bien l'idée qu'on soit tous connectés. Internet serait-il une sorte de phéromone technologique ? Oh, allez, pourquoi pas après tout. Façon homo-sapiens sapiens.

En tout cas, facebook me paraît être une plateforme d'échange mais en aucun cas un outil permettant de servir l'intérêt commun. Sus aux likers qui pensent aider une petite fille au brésil en likant. Et puis, s'il n'y a plus de planète, il n'y a plus de brésiliens. Je pensais que facebook allait devenir une sorte de plateforme culturelle ou chacun échangerait ses passions, sa pensée, ses connaissances, etc... C'est un peu ça mais pas trop quand même. C'est plus : « J'ai fais des pancakes ce matin ».

Hop hop hop ! Petit retour en arrière. « S'il n'y a plus de planète, il n'y a plus de brésiliens ». Ah bah voilà ! Tout est là ! C'est CET intérêt commun que je cherche. Cette connexion-là. De quoi je parle ? Les espèces animales disparaissent à un rythme mille fois supérieur au taux d'extinction naturel. Une dizaine de pays détiennent ou sont soupçonnés de détenir la bombe atomique. Sans parler de la pollution, la couche d'ozone, le réchauffement climatique, la diminution des ressources naturelles, etc... Tous ces trucs chiants qui nous paraissent à des années-lumière de notre espace-temps. Pour faire court, au lieu de la défendre, on est en train de détruire la fourmilière. Voilà pourquoi je me sens si seul, car je n'aide pas mon prochain, je n'aide pas mon prochain car je ne fais rien pour que ça change. Fini les oiseaux bleus dans le ciel chantant, fini les Brésiliens et le pire... Fini facebook !

Pour la peine, je vais préparer quelques pancakes.

Le cabinet des curiositésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant