24 octobre 1996

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J'étais dans la Salle Commune qui se vidait peu à peu en raison de l'heure tardive. Mes amis avaient déjà quitté ma table depuis une petite heure, quant à lui, il restait dans le canapé en cuir placé au centre de la pièce avec ses amis. Ils ont fini par partir, le laissant seul. Ses longs cheveux blonds tombaient sur ses yeux fatigués, il dormait peu, je le savais parce que tout comme moi il passait une partie de ses nuits dans la Salle cCommune. Il attendait sûrement que le temps passe, je ne le blâme pas, c'est ce que je faisais aussi, attendre. Dans ce climat hostile, tout était sombre, même lorsque les jours étaient ensoleillés et alors qu'il ne semblait y avoir aucune ombre au tableau nous finissions par apercevoir un Détraqueur ou par lire une mauvaise nouvelle dans les journaux. C'était ainsi, notre quotidien était devenu celui-ci, alors oui, nous attendions. Depuis notre dernière conversation Draco et moi sommes devenus plus proches, comme si nous avions perçu en chacun de nous quelque chose qui jusqu'alors était resté imperceptible. C'est compliqué, inexplicable, mais c'est un ressenti qui est en moi désormais. Toutefois dans cette pièce bien que seuls à l'abri de tous les regards, nous sommes restés distants, on se comportait de la même façon ici, que dans tous les recoins du château. Pourtant je le savais, nous étions plus proche, lié d'une façon dont nous ne l'avions jamais été. Ce soir-là, proche des escaliers, j'avais vu en lui une vulnérabilité que je n'avais jamais vu chez quiconque et je ne sais pas ce que lui avait vu. Mais une chose est sûre, ce qu'il avait perçu chez moi l'avait lié à son tour. Je repassais les mêmes lettres sur mon parchemin, à rendre pour le lendemain au professeur Rogue. Mon devoir était fini depuis bien longtemps en réalité mais j'avais besoin de le voir et donc d'une excuse pour rester. Tout nous séparait, tout nous liait, on souffrait, sans aucun doute d'être loin l'un de l'autre mais cette souffrance n'était pas uniquement dû à cette relation, ou plutôt à cette absence de relation. En fait c'est sans doute la souffrance en elle-même qui faisait de nous des êtres inlassablement liés, aussi triste soit-il, c'était notre parfaite connaissance de ce sentiment qui nous réunissait. Maintenant qu'il était là, que j'étais là, nous n'avions pas le choix que de subir. Mais je ne crois pas que nous aurions souhaité avoir le choix, cet amour interdit c'est ce qui nous représentait le mieux, c'était la seule façon que nous avions pour exprimer ce sentiment, l'amour était bien moins connu par nous que la souffrance. Sa voix me sortit de mes pensées, stoppant mon tracé de lettres sur mon parchemin que j'avais désormais troué. J'ai soupiré bruyamment et levé les yeux pour croiser son regard.


- Tu ne viens pas ? A-t-il dit sur le ton de l'indifférence.


- Où ? Répliquai-je.


- Oh Hadès, s'il te plaît, ne me fais pas dire ce que tu sais déjà.


Je voulais l'entendre dire, c'était ça, c'était nous. Ni lui, en couple avec Astoria, ni moi l'éternelle célibataire n'avait de compte à rendre à l'autre. Mais nous avions besoin de ces petits actes qui faisaient exister notre semblant de relation, même juste le temps d'un instant. N'ayant pas la réponse que je souhaitais j'ai prétendu me remettre à mon travail, comme si le son de sa voix, son regard posé sur moi, n'avait pas créé la moindre émotion chez moi. C'était faux, bien évidemment, totalement faux, il détenait à lui seul l'intégralité de mes humeurs.


- Viens vers moi.


J'ai levé à nouveau les yeux de ma copie, je l'ai regardé et lui ai fait un sourire en coin.


- S'il te plaît, Hadès, viens vers moi. Continuait-il.


J'ai pris le soin de fermer ma trousse, de replier mon parchemin, souhaitant faire durer ce moment, ces instants qui n'appartenaient qu'à nous. Je suis parti en direction de la bibliothèque et après avoir dit mon incantation j'ai saisi un livre, le livre et je suis allée m'asseoir à côté de lui. À son tour il s'est penché, en direction de son sac, l'a ouvert et en sorti un livre, le livre. J'ai fixé la couverture entre ses longs doigts pâles, stupéfaite avant de prendre la parole.


- Ne me dis pas que...


- Que je lis ce stupide livre d'amour. Il m'avait coupé la parole. Si, de toute évidence c'est ce que je fais. Depuis ce soir.


Je savais pertinemment de quel soir il parlait, le soir où nous avions été plus proches que jamais. Pourtant à ce moment nous n'étions pas aussi proches que nous l'étions désormais. Bien au- delà du physique, il y a quelques jours encore je ne songeais pas à lui comme aujourd'hui. Il restait bien souvent imperceptible bien qu'il me montrait par instant une certaine confiance, m'exprimant des bribes de sentiments et de ressentis. Il devait exister une lueur, un jour ou peut-être il serait capable de réellement se confier, ou je pourrais réellement comprendre ses souffrances sans avoir à faire l'utilisation de l'Occlumancie. Peut-être même qu'un jour il connaîtrait à son tour toutes mes souffrances.


- Te regarder sourire en tournant les pages m'a donné une bonne raison de m'y mettre.


- Et tu souris toi aussi ?


- Non.


Nous avons rigolé tous les deux à cette réponse.


- C'est stupide comme histoire.


- Ne dis pas ça !


J'avais riposté en tapant gentiment sur son bras. Il avait fixé ma main posée sur son corps tandis que je le regardais. Sa peau était glacée je pouvais le sentir même par la présence de sa chemise. Puis après un instant nous avons commencé notre lecture, je pouvais l'entendre soupirer à certains passages et je pouvais le sentir cesser sa lecture pour me regarder à d'autres moments. Je ne sais combien de temps cette lecture a duré, comme bien souvent lorsque j'étais à ses côtés j'ai perdu toute notion du temps. Ce sont ses mains froides qui m'ont ramené à la réalité. Il jouait de ses doigts sur l'un de mes genoux, faisant des cercles réguliers sur ma peau. Il me regarda à son tour puis détourna le regard près de la cheminée, il ne restait plus que des braises, signe qu'il devait être réellement tard maintenant. Il a alors enlevé sa main de mon genou en prenant avec lui ce qui faisait de moi une femme heureuse, il m'a souri légèrement et s'est levé sans même un dernier regard. Comme souvent après de tels moments de tendresse je me suis senti encore plus mal que lors de mon entrée dans cette pièce. J'ai quitté à mon tour le canapé en cuir et j'ai rangé le livre dans la bibliothèque avant de suivre la direction de mon dortoir.

InlassablementOù les histoires vivent. Découvrez maintenant