Postface

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J'ai commencé à écrire Tout au bord du monde avec des scènes isolées. J'étais en classe, je m'ennuyais. Souvent, quand je débutais l'écriture de ces passages, j'ignorais où j'allais. Je garde cependant un souvenir brûlant de la phrase : « Vous savez, quand vous buvez, les gens vous tournent le dos ». Elle tournait en boucle dans ma tête, s'immisçant dans mes pensées comme une chanson dont on ne parvient pas à chasser le refrain. J'ai ressenti le besoin urgent et impérieux de coucher cette phrase sur le papier. Le reste du prologue m'est venu tout seul et je l'ai écrit d'une traite pendant un cours de français, sur des copies doubles.

Je n'ai pas eu besoin de chercher très loin pour comprendre d'où me venait cette obsession pour l'alcoolisme (et d'ailleurs, beaucoup de lecteurs ont noté ma familiarité avec le sujet), puisqu'à cette époque, mon père était en procès pour conduite en état d'ivresse et mise en danger d'autrui. J'étais furieuse contre lui, et je ne savais pas comment l'exprimer, car ça me rongeait de l'intérieur. Comment accepter cette colère quand elle est dirigée contre quelqu'un que l'on aime ? D'un autre côté, c'était la vie de mon petit frère qu'il avait osé risquer. C'était mon enfance, puis mon adolescence qu'il avait ruiné, avec ses mots pleins de violence et sa cruauté.

Rose m'a tellement aidé à y voir plus clair. À travers elle, je pouvais tenter de comprendre certains schémas, de mieux comprendre la douleur et l'isolement que cela amène. J'ai vu mon père saboter des années de son propre travail et absolument toutes ses relations. Il était naturel que Rose fasse de même.

J'ai aussi eu l'opportunité d'observer les conséquences provoquées l'alcoolisme sur notre société, et ce n'est pas beau à voir. Il est désolant de voir la propension des gens à ignorer des comportements à risques, tels que l'accoutumance. Non, boire un verre de vin tous les jours au repas n'est pas une bonne idée. C'est de l'accoutumance, et cette dernière est la porte vers la dépendance, et donc vers l'alcoolisme. Charlie Danger a un jour fait un thread sur Twitter sur ce sujet, que je trouve édifiant.

Ce qui est véritablement lamentable cependant, c'est la façon dont les gens, excusent d'une part ces comportements à risque, et accusent d'autre part ceux qui se tournent vers la sobriété. Il y a clairement une pression pour boire de l'alcool pour s'intégrer, et c'est grave. Nous avons tous déjà entendu ce type de dialogue : « Allez, encore un petit
dernier pour la route ? » « Non, merci. » « T'es pas drôle. » Imaginez si on vous proposait non pas un verre d'alcool, mais une boule de glace à la place. Ne serait-ce pas alors étrange, et impoli, que des proches cherchent absolument à vous gaver de crème glacée ? Et qu'ils cherchent à vous faire changer d'avis en cas de refus ? Vous seriez mal à l'aise, et ce serait tout à fait naturel. Soyez vigilants sur le type de personnalité qui vous entoure, prenez soin de vous, prenez soin de vos proches.

J'ai eu des retours qui m'indiquaient que vous ne comprenniez pas pourquoi est-ce que les amis de Rose ne la confrontaient pas sur sa dépendance. La première réaction d'un alcoolique mis en face de ses démons, c'est le déni. Puis, après le déni, vient la colère. Qui risquerait une amitié avec cette épée de Damoclès ? Qui irait dire à Rose « tu as un problème, tu as besoin d'aide » et prendre ainsi le risque de la perdre ? Pour aider un alcoolique, il faut parler sans imposer quoi que ce soit et sans accuser. C'est dur, surtout quand la personne n'a pas envie d'écouter. Tout le monde n'a pas les épaules pour ça. Tout le monde n'a pas le tact nécessaire, surtout si l'on fait affaire à quelqu'un qui souffre en plus d'un trouble de la personnalité borderline et a donc (par-fois) de sévères problèmes de susceptibilité. Rose a eu de la chance que Scorpius soit prêt à tout risquer pour elle, et c'est aussi par crainte de la perdre pour toujours que Rachel et Albus ont fait appel à lui : Scorpius, lui, avait déjà perdu Rose, et avait donc tout à gagner en intervenant.

Cependant, si Scorpius est celui qui la sort de sa bulle de déni, ce n'est que la réaction de Jackson qui la pousse à se prendre en main. Pourquoi ? Car la peur de l'abandon est très forte chez ceux qui souffrent d'un trouble de la personnalité borderline, et c'est cette crainte qui va guider la plupart de leurs décisions. Du moins, c'est ce que j'en ai compris en faisant mes recherches, car je ne suis pas particulièrement connaisseuse du sujet.

J'ai beaucoup utilisé cette fanfiction comme ma tribune personnelle, afin de vous parler de sujets qui me tiennent à cœur (les addictions, l'alcoolisme plus particulièrement donc, l'anorgasmie, les poils, les règles, les questions triviales que tout le monde se pose, les troubles mentaux et de la personnalité, et bien sûr, l'anorexie, et de manière générale, les TCA).

Je ne vous cache pas que c'est un sujet que je ne maîtrise pas du tout. Ça m'intéresse, et j'ai fait quelques recherches, je me suis documentée et ça s'arrête là. Pourquoi en parler ? Parce que pour moi,
c'est une maladie qui reflète d'un mal être plus profond, plus large, qui touche notre société. Où l'image est si importante. Et ça me fout en rogne.

J'ai de la chance : je m'aime. J'aime mon corps, j'aime mon visage, j'aime ma personnalité et je suis en accord avec moi-même. Sauf que ce genre de truc ne devrait pas relever de la chance. Ça devrait être normal. Banal, anecdotique. Bien sûr, j'ai des coups de mou. J'ai commencé mon mois de janvier 2021 en faisant du sport tous les jours car j'arrivais pas à entrer dans la jupe que je m'étais achetée et que ça me déprimait. J'ai de l'acnée (et ça fait mal sa race). J'en ai pas beaucoup, mais à vingt-quatre ans, je commence à en avoir marre. L'acné c'était censé être un truc d'adolescente, cependant, je suis quand même gâtée. Je peux remercier les hormones pour ce cadeau. Je ne suis pas parfaite, et je le sais, et pourtant, je m'aime quand même. Il y a juste des jours où je m'aime un peu moins que d'autres. Il y a des jours où je m'adore. Et il y en a d'autres où je voudrais creuser ma tombe.

Je sais que tout le monde n'a pas ma chance. Je sais que là, dehors, in the whole wild world, il y a d'autres Eglantine. Je le sais car c'est le cas de personnes que j'adore et dont je suis proche. Vous n'imaginez pas à quel point je fume de la tête, quand une femme que je trouve absolument stunning me dit qu'elle est trop grosse. Quand elle se regarde, elle voit son poids. Quand je la regarde, je vois une meuf méga bonne, pulpeuse, yeux bleus comme l'océan, un sourire à tomber et une peau que moi, la nana à l'acné réfractaire, j'envie. Hier, une autre personne qui m'est très chère, et qui lutte contre son image, m'a envoyé un texte.

« Et si j'avais 10 kilos de moins ? ». C'était le titre. Ce texte, Eglantine aurait pu l'écrire. Et je peux vous promettre qu'une fois les dix kilos perdus, Eglantine aurait réécrit le même texte. En pire. Ça m'a fait mal de lire ça, et ça m'a mise en colère, parce que personne ne devrait se juger aussi sévèrement. Personne ne devrait estimer que sa parole n'est valide que s'il fait « 10 kilos de moins ».

Certaines personnes voudraient les attributs physiques d'autres personnes. On désire ce qu'on ne possède pas, c'est connu. Combien de fois mes copines avec des grosses poitrines m'ont proposés un échange ? (Vous rêvez, by the way, j'aime trop mes tétés). On a tous entendu ce genre de remarque un jour. Il n'y a aucune part de mon corps, ni de ma personnalité que je voudrais échanger. Je suis moi. En revanche, j'aimerais parfois pouvoir donner mon regard. J'aimerais que ces personnes puissent se voir telles que moi, je les vois. Et peut-être, telles que le reste du monde, les personnes qui tiennent à elles, les voient. J'imagine la scène, et je me dis qu'enfin, elles s'aimeraient comme elles le méritent.

J'ai parlé d'anorexie mais j'aurais pu parler de boulimie, j'aurais pu parler de tas d'autres TCA (troubles du comportement alimentaires), j'aurais pu parler de grossophobie et illustrer d'une autre manière le mal que font les complexes physiques et la pression de merde qu'on subit d'un côté pour être magnifique dans un 34 et de l'autre, pour s'accepter tel que l'on est dans une robe XXL. J'ai créé Eglantine car je voulais exposer le silence forcé et le tabou autour de ces standards.

Et ça a marché, car je sais que je vous ai touché avec son histoire. Il y a plusieurs mois/semaines/je ne sais plus trop, j'ai reçu une review dans laquelle une lectrice me disait qu'elle se reconnaissait beaucoup en Eglantine. Je lui ai envoyé un email car son message m'a un peu alarmée. En plein dans le mille. Et moi, je savais déjà qu'Eglantine allait mourir car je sais à quel point ce genre de chose peut détruire. Et je sais que vous avez tous, plus ou moins, retrouvé en Eglantine quelque chose qui faisait écho en vous. Alors l'histoire d'Eglantine est pour vous. Pour toutes les Eglantine qui souffrent en silence, et toutes celles qui osent dire ce qui les dérange.

Vous êtes magnifiques.

J'espère sincèrement que vous vous aimerez-vous mêmes, que vous vous batterez contre un complexe, contre une mauvaise image de vous jusqu'au bout, car vous le méritez. ♥

Tout au bord du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant