𝟏𝟖.

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Mon souffle se coupe instantanément, tandis qu'il me toise avec attention, attendant probablement ma réponse.

L'atmosphère est tendue, le temps semble figé.

Je veux lui hurler dessus, briser mes cordes vocales jusqu'à ce que ses oreilles s'emplissent de sang, mais il n'en est rien. Je ne bouge pas, et mes lèvres demeurent scellées.

Je me contente de fulminer sur place, et quelques secondes plus tard, alors que notre oeillade devient insupportable, je me détache rageusement de mon sac et le lui balance furieusement, avant de m'éloigner précipitamment de lui, m'enfonçant dans la neige en tentant d'instaurer le maximum de distance entre son corps et le mien.

Je peux sentir le poids de son regard brûler mon dos, et alors qu'il ouvre le sac en lin, pressant les poches de sang entre elles, je l'entends murmurer, de façon à peine audible :

—Sage décision.

Je peux entendre le bruit du sang qui roule le long de sa gorge, et finalement, sa respiration qui se calme, et les battements de son coeur qui se détendent.

Je ne veux rien entendre de tout ça, ni sa respiration, ni son souffle, ni sa voix, mais mon ouïe désormais décuplée m'y oblige, comme un prix à payer pour m'être abreuvée de lui.

Alors je reste ainsi, à attendre qu'il vide la pochette de sang, sans émettre le moindre bruit, sans effectuer le moindre mouvement. Et rapidement, alors que je lui tourne toujours le dos, mon sac percute brutalement ma colonne vertébrale, avant de lourdement retomber dans la neige.

—On se met en route. Nous sommes restés immobiles trop longtemps, ils ne vont pas tarder à repérer notre odeur, prononce-t-il à nouveau en me dépassant, toujours vêtu de sa tenue de marchand.

Je récupère mon sac enseveli de neige en l'observant s'éloigner, avant de le rejoindre précipitamment, prenant soin de garder mes distances.

—Qui ça ? me risqué-je à demander, replaçant le sac sur mon dos.

Il ne daigne pas me regarder, les yeux rivés droit devant lui, alors que je m'agite impatiemment, pressée de connaître sa réponse, et à la place, il accélère le pas, comme s'il tentait de me devancer.

Quelques flocons sont logés dans ses mèches pourpres, et à la lumière, ses cheveux habituellement assombris, presque noirs, s'éclaircissent d'un rouge foncé particulier. Un rouge sang.

—Les jägers. Les chasseurs de vampires, répond-t-il finalement d'un ton sans appel, comme s'il mettait fin à la discussion, serrant les mâchoires tout en gardant le regard fixé vers l'horizon, les yeux soudainement vitreux.

D'un hochement de tête silencieux, j'assimile ses paroles.

Je ne rétorque rien, et arpentant ainsi la forêt, je me contente de me plonger dans le silence qui nous surplombe, remarquant sa mine renfrognée et ses épaules crispées.

J'ignore si beaucoup de jägers sont tombés sous ces coups, mais intérieurement, j'ose espérer ne pas m'être trompée, en le suivant aveuglément.

Je n'ai même pas vérifié derrière moi. J'ai exécuté ses ordres, et sans réfléchir davantage, j'ai tout laissé derrière moi.

Je ne sais même pas ce qui arrivera à nos chevaux, à Hadès, à Noah, à Judas, ou même à Maia.

Et la seule chose qui me réconforte, durant ces heures de marche languissantes et épuisantes, c'est ce silence, et cette poudre immaculée que l'on piétine.

J'en viens alors à regretter l'absence d'Azael, qui aurait probablement empêché ce drame d'arriver, ou qui aurait simplement rendu ce trajet moins lourd de silence.

𝐖𝐇𝐄𝐑𝐄 𝐖𝐄 𝐁𝐄𝐋𝐎𝐍𝐆.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant