𝟏𝟗.

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Noah :

Silencieusement, j'observe le pieu s'effiler un peu plus, écartant plus profondément la plaie béante qui creuse ma cuisse. Les morceaux déchirent ma chair, mais je n'ai pas mal. La douleur physique ne m'est plus insupportable, elle me réveille.

—Raconte moi une histoire, articule difficilement la voix de Judas, bercé par la pénombre qui nous surplombe.

De là où il est attaché, les mains solidement accrochées au mur, son visage m'est visible, mais il ne peut pas apercevoir le mien, et je devine qu'il essaye de me distraire.

Mon coeur se serre.

La seule source de lumière se répercute sur son corps immobile, tendu par les chaines, et d'ici je peux remarquer la multitude d'ecchymoses qui redorent sa chair, tirant sur du bleu, du violet, et même du noir.

Les yeux posés sur ses plaies, je peux déjà sentir mon sang s'envenimer, bouillonnant à l'intérieur de mes veines. J'aurai leur tête.

Ses iris violettes sont voilées de tristesse, mais il attend tout de même mon histoire, alors je me racle la gorge, et commence, la voix enraillée :

—C'est l'histoire d'une petite fille... qui grandit dans la forêt, dans une grande et belle maison en bois, qui voit souvent la neige.

Ma respiration s'alourdit.

—Pourtant, elle en est effrayée, alors elle ne sort jamais de chez elle. Elle a peur de se noyer dedans, de crouler sous la glace, et que personne ne puisse jamais la retrouver.

Je ferme lentement les yeux, imaginant cet forêt entièrement recouverte de neige, un mince sourire aux lèvres.

—Alors, elle se contente de regarder les voisins jouer par la baie-vitrée, envieuse mais consciente du danger. Elle n'a pas d'amis, seulement un chat, qui s'aventure souvent dans la forêt, et ne rentre presque jamais.

Petit chat noir, qui n'a jamais été retrouvé.

—Seulement, un beau jour, son père s'inquiète de son état de santé. La petite fille ne parle plus, ne se nourrit plus, et se contente d'observer le pas de sa maison, le coeur battant. Après plusieurs tentatives, son père finit par comprendre pourquoi l'état de sa fille se dégrade, et tente d'y remédier.

Ses iris inquiètes me reviennent en mémoire.

—La petite a peur, effrayée à l'idée d'être grondée à cause de cette phobie qui continue de l'isoler. Mais à la place, son père s'arme d'immenses pelles, et commence à vider la neige qui s'affaisse près de la maison. Tous les jours d'hiver, chaque fois qu'un flocon ne commence à pointer le bout de son nez, il se poste devant la maison et vide la neige dans un énorme caisson. Il la combat, la terrasse, jusqu'à ce qu'elle disparaisse. Et, chaque fois que la petite fille doit sortir, il lui offre son dos, et lui sert de cavalier.

Il me manque.

—Jusqu'à ce que, un beau jour, elle parvint à y déposer les pieds.

Lentement, je presse ma tête contre le mur mouillé, souillé de mon sang, et ferme délicatement les paupières, ajoutant en un murmure :

—Depuis, la petite fille n'a plus jamais eu peur de la neige. Et désormais, elle lui rappelle son père.

Mes épaules tendues s'affaissent immédiatement en me rappelant les traits de son visage, et, les yeux toujours fermés, je plonge la main dans la couture de mon accoutrement, palpant l'étoile qui redore habituellement ma combinaison de combat. Son étoile.

𝐖𝐇𝐄𝐑𝐄 𝐖𝐄 𝐁𝐄𝐋𝐎𝐍𝐆.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant