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Au final, j'étais sorti de mon antre.

Je m'étais promené en ville, j'avais mangé dans des ramens et dessiné dans des cafés sympa, en repoussant l'inévitable. Je m'étais même fait des amis éphémères un soir dans un bar, des Polonais super funs, avec qui j'avais bu du sake en parlant de tout et de n'importe quoi, sauf de l'essentiel : moi. Oui, je faisais comme si j'étais venu au Japon simplement parce que c'était un endroit où je me sentais bien, que j'aimais énormément, et où j'espérais être à même de réfléchir en toute transparence avec moi-même.

Alors que, comme je l'avais dit à Thomas, j'étais venu parce que Tash était à Tokyo.

J'avais besoin de lui parler.

Je sonnai à son interphone.

─ Alessio, lâcha la voix de Tash, surprise.

─ Salut.

─ Monte, monte. Il pleut des cordes !

La porte s'ouvrit ; je me déchaussai dans le genkan, montai la petite marche qui accédait à son appartement et acceptai la serviette que Tash me tendait. On se sourit tandis que je me frictionnais les cheveux.

─ Tash, qu'est-ce que je suis content de te voir !

─ Moi aussi, Alessio. Très surpris, aussi.

─ Je suis désolé que tu aies dû annuler tes billets pour Paris. On t'a remboursé ?

─ Oui, pas d'inquiétude. Assieds-toi, je vais t'apporter un café. Il ne fait pas chaud aujourd'hui.

On s'assit autour de la table basse, couverte de feuilles en tout genre elles-mêmes couvertes de graphiques et de chiffres. Il finissait un rapport pour le travail, apparemment. Il me tendit une tasse, et je le remerciai.

Son appartement – enfin, son studio - était minuscule, mais chaleureux.

─ Tu as l'air très fatigué, Alessio, dit Tash, l'air soucieux.

─ C'est pas très plaisant à entendre, mais je le suis, il faut dire. Je me couche à l'aube.

─ Tu te nourris correctement ?

─ Pas vraiment.

─ Ce n'est pas bien, il faut manger. Où loges-tu ?

─ Un petit hôtel à Akihabara, pas loin du métro. Il est bien, ça va... ne m'invite pas à dormir chez toi, je vais refuser.

Tash me considérait d'un air inquiet, les sourcils froncés. Il croisa les bas sur sa poitrine.

─ Que se passe-t-il ? Tu es malheureux parce que le mariage n'aura pas lieu ?

─ En partie, murmurai-je. J'aurais aimé que ça marche.

Tout ce que j'avais dit à Tash, c'était la même chose qu'à tous les autres : c'était fini avec Chloé, point. Je n'étais pas entré dans les détails. Je voulais être seul. J'en avais besoin.

Mais ça faisait près d'un mois que j'étais seul, et il me semblait qu'il me manquait quelque chose.

─ En partie ?

J'hochai la tête. Je me sentais mal d'avoir quitté Chloé. Ca m'était égal de me retrouver célibataire, mais j'acceptais difficilement de lui avoir fait de la peine. Je ne regrettais pas une seconde de ne pas être allé jusqu'au mariage. J'aurais pu le faire, juste pour lui éviter... tout ça. Mais aurait-ce été bien ? Aurait-ce été respectueux ? Je ne le pensais pas. Ce n'était pas honnête. Parfois, il fallait dire les choses telles qu'elles étaient. Parfois, avoir mal était le mieux.

─ Tu as l'air malheureux. Tu regrettes ?

─ Non. Simplement, Dani me manque.

Qu'est-ce que ça faisait du bien de dire la vérité. De simplement la dire. De ne pas tourner autour du pot ou me persuader du contraire. La vérité, c'était ça. Je voulais Dani. Je voulais la voir. Je voulais sentir ses cheveux. Je voulais entendre son rire. Bref.

Tash ne broncha pas, seules ses lèvres frémirent.

─ Je vois, dit-il enfin. C'est la raison pour laquelle tu t'es séparé de Chloé ?

─ En partie, répondis-je, soupirant. Tu sais, on avait des soucis, avec Chloé. Le mariage n'aurait rien arrangé. La seule différence, c'est qu'on aurait été... marié.

─ Tout le monde a des problèmes. Mais votre plus gros problème, ce n'était pas Dani ?

─ Pas Dani. Moi. Ce que j'attendais de Chloé. Des choses impossibles. Parce que... Chloé... sera toujours Chloé. Et c'est bien comme ça. C'est juste qu'elle n'est pas pour moi.

─ Tu as mis deux ans à t'en apercevoir ?

─ Non, je l'ai toujours su, et je tâchais de l'ignorer. C'était le prix à payer pour rester avec elle. Et je voulais tellement que ça fonctionne... tellement, tellement.

─ Pourquoi ?

─ Je ne sais pas.

Il y eut un silence, que Tash rompit.

─ Je ne veux pas être désagréable, Alessio, mais ça me surprend de ta part. Tu es un homme de parole. Un homme droit. Tu as donné ta parole à Chloé et sa famille. Tu as demandé cette fille en mariage.

Je pris une inspiration.

─ Oui, je l'ai fait, et au moment où je l'ai fait, je le pensais et je me suis donné à fond dans cette relation. Pour moi, c'était Chloé, c'est tout. Sauf que...

─ Sauf que... ?

─ Sauf que je n'ai jamais, à aucune seconde, cessé d'aimer Dani. Je n'ai jamais réussi.

─ Je sais, oui. Enfin, je pensais vraiment que tu étais passé à autre chose, avec Chloé...

Lentement, je fis « non » de la tête. Je pris une gorgée de café et demandai d'un ton rauque :

─ Tu désapprouves, Takeshi ?

─ Ce n'est pas à moi d'approuver ou de désapprouver ce que tu fais dans ta propre vie, Alessio.

Autrement dit, oui. Mon ventre se crispa. J'étais déçu. Je le regardai droit dans les yeux.

─ Ecoute, Tash. Quand j'étais avec Chloé, pour que ça marche, j'évitais de penser à Dani. C'était à ce prix-là. Quand une musique me rappelait un souvenir avec elle, je me débrouillais pour ne plus avoir à l'entendre. Même les copains ne me parlaient pas d'elle. Et j'étais bien comme ça, Tash. Je t'assure. Tout allait bien... jusqu'au moment où je l'ai revue.

Il ne répondit pas, me laissant poursuivre. Je fixai la surface noire et tremblotante de mon café, caressai la tasse en me remémorant ce moment au Sirocco, où j'avais vu Dani assise au bar. Je souris pour moi-même. Une claque en pleine tronche.

─ Je ne m'y attendais pas. Ca m'a complètement pris par surprise. Et que je le veuille ou non, tout l'amour que j'avais pour elle m'a sauté à la figure.

─ Comme une digue qui cède, reformula Tash.

─ Exactement. Elle était si... différente ! Mais pas tant que ça, non plus. C'était incroyable, Tash. Quand je l'ai vue... j'étais horrifié. Et content. Et flippé. Et AMOUREUX. J'ai essayé de le canaliser, tu peux me croire... vis-à-vis de Chloé, du mariage, de moi. Je veux dire, c'est moi qui ai rompu avec Dani je ne sais combien de fois...

─ Je sais, je te connais, Alessio. On en a parlé, d'ailleurs.

─ Sauf que ça n'a servi à rien. Et pour être honnête, je n'ai pas envie de vivre comme ça, dans une sorte de mensonge. J'aime Chloé, c'est vrai. Je l'aimerai toujours. Je tiens à elle, encore aujourd'hui. Seulement, je ne veux pas faire ma vie avec elle. Je n'ai pas besoin de la voir tous les jours. Entendre sa voix ou sentir son parfum me font plaisir, mais sans plus...

─ Tu veux dire que tu n'es pas amoureux de Chloé.

─ Pas comme il faudrait, en tout cas. Pas comme elle m'aime.

Tash réfléchit à mes propos. A l'extérieur, la pluie battait toujours contre les vitres.

─ J'aime beaucoup Chloé, dit Tash, rassemblant quelques feuillets. Je la trouvais apaisante, pour toi.

─ A une époque, oui, c'est vrai. Les choses ont changé entre temps. Sans même parler de ça, notre relation ne me suffit pas aujourd'hui. Ce n'est pas elle que je veux parce que ce n'est pas elle qu'il me faut.

─ Tu es sûr ? Ecoute, je n'ai rien contre Dani. Elle est... c'est une femme surprenante. Elle est troublante, extrêmement intelligente. Très jolie aussi. Je comprends évidemment l'attraction. Simplement, quand je l'ai rencontrée, je trouvais que tu ressemblais à une mouche prise dans les filets d'une araignée. Pour être franc.

J'encaissai en silence.

─ Il y avait quelque chose de désespéré dans ta façon d'être autour d'elle. Je crois que je ne suis pas près d'oublier la façon dont j'ai dû te sortir de cette boite de nuit, quand elle est venue à Tokyo. Tu étais si malheureux. Elle jouait du pouvoir qu'elle a sur toi. Tu en as conscience ?

─ Ben oui, Tash, dis-je entre mes dents. Ce n'était pas brillant, et j'y ai mis fin, mais...

─ ... mais, les choses ont changé, c'est ça ? Dani a changé ?

─ Elle est différente d'avant, tout en étant la même. C'est toujours Dani de toute façon.

─ Et toi, tu es différent ? Ou tu es encore cette mouche prise au piège ? Alessio, tu es obsédé par Dani... ce n'est pas sain. Ca a changé, ça ?

─ Non. Ca ne changera jamais. C'est comme ça que je l'aime. Je ne sais pas l'aimer autrement, et au fond, je ne suis pas sûr d'en avoir envie.

J'avais eu tout le temps de réfléchir à tout ça, seul, et je reconnaissais l'évidence. J'étais fasciné par Dani. Certes. Longtemps j'avais eu peur qu'elle me contrôle, mais ça n'était jamais arrivé : j'avais toujours su m'éloigner d'elle quand il le fallait. L'intensité de mes sentiments pour elle me faisait toujours un peu peur, mais je l'acceptais. Que faire d'autre ? C'était comme ça avec elle, c'est tout.

─ Très bien, dit Tash. Réfléchis. Si vous reprenez une relation... est-ce que tu ne vas pas souffrir des mêmes choses, des mêmes... limites ?

Il n'ajouta rien, mais à sa façon de me fixer, je sus exactement à quoi il faisait référence. Ma tendance à la castagne – je me battais avec n'importe qui -, la douleur physique que je ressentais quand les choses allaient mal avec Dani... le fait que souvent, à l'époque, j'avais l'impression d'être une marionnette, dominée par des sentiments que j'étais incapable de maîtriser. Tout ce qui m'avait poussé à m'éloigner d'elle. Rien de glorieux, mais c'était mon meilleur ami ; qu'il ait vu une de mes vérités était une chose que je devais accepter.

Je repris une gorgée de café.

─ Tash, je ne suis pas quelqu'un d'autre. Dani non plus. On est les mêmes personnes. Mais elle a changé, et moi aussi, j'ai pris du recul sur certaines choses. Et puis... tu sais... je n'ai jamais été plus heureux qu'avec Dani.

─ Plus malheureux, aussi, non ?

─ Aussi, reconnus-je amèrement. C'est vrai, j'étais au fond du trou, par moments. Mais ce n'est pas pire qu'aujourd'hui, crois-moi. Je ne sais pas du tout si elle voudra... recommencer... et ça m'angoisse, mais je vais te dire : je n'ai pas ressenti ça cet été. Au contraire. C'était incroyable de la voir, d'être avec elle. Tellement, que ça ne pouvait que m'éloigner de Chloé. Elle est devenue proche de la Dani que j'ai toujours voulu connaître. Celle qu'elle était avant de perdre Rubén, finalement. Je pense pas que la thérapie l'ait « changée », je pense que ça l'a aidée à se retrouver elle-même. Les épreuves qu'elle a traversées lui ont forgé une carapace. De toute façon, personne n'est parfait, et je ne veux pas d'une femme parfaite. Je veux juste... Dani. Et ça ne changera pas, je crois. Ca n'a pas changé quand j'étais avec Chloé, malgré le fait qu'on était bien, alors...

─ Je comprends, oui.

─ Tash, bon sang, je te demande pas ton autorisation. Je vais aller à Rio et je vais demander à Dani de m'épouser. Je pense qu'on est prêt pour ça et qu'on a assez tourné autour du pot. De toute façon, je ne peux pas supporter l'idée qu'un autre fasse la même chose. C'est elle que je veux près de moi. Tout ce que je te demande...

─ C'est d'être ton ami, compléta Tash, et il me serra dans ses bras, tapotant mon dos. Je suis ton ami, Alessio. Je ne comprends pas tout ce que tu fais, mais tu as l'air sûr de toi. Tu as toujours aimé cette fille. C'est important, pour toi. Je vois que tu ne te fais pas d'illusions pour autant. Rassure-toi, je te soutiens.

Le soulagement déferla sur moi comme une vague.

─ Merci, Tash, dis-je, retrouvant le sourire.

─ Si c'est ton choix, je suis derrière toi. Simplement... fais attention à toi.




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ALLEZ

Tash se méfie de Dani et met Alessio en garde, tiens, quelle surprise. (cf tome 2 au Japon pour ceux qui ont oublié)

J'ai été gentille, je vous en ai mis plein d'un coup, là.

C'est sûr que je mettrai pas à jour ce mois-ci.

La suite est sur KaziskiWattpad (Patreon) pour ceux qui veulent.

A la prochaine et merci pour la lecture.

K



La Lune de Miel (HB tome 4)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant