Tout le temps du monde - suite

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─ Ca te fera dix-neuf euros et quatre-vingt cents, bougonna le mec à l'adresse de la fille.

Ce n'était pas drôle, mais elle gloussa. Il resta de marbre.

La pauvre.

Elle s'en fut sans demander son reste, s'éloignant de moi dans un claquement de talons aiguilles et un nuage de parfum capiteux.

A mon tour, je posai mes articles sur le comptoir et souris au caissier.

Louka de son prénom, à en croire le petit badge épinglé sur sa poitrine.

─ Salut, Louka, lançai-je comme si on avait élevé les cochons ensemble.

Ce n'était pas le cas.

─ Ca roule ?

Il n'eut pas l'ombre d'un sourire, pour sa part.

─ Bonjour.

... miro, disais-je, froid, et vraiment charmant.

Un Brelan tout à fait déstabilisant, voyez-vous.

─ Alors, quoi de neuf à Louka-land ? m'enquis-je, aimable.

─ Pas grand chose.

─ T'as vu un bon film, récemment ?

─ C'est censé être marrant, ta question ?

─ Oui. Je m'essaie à l'humour.

─ Non, j'ai pas vu de bon film récemment, espèce d'idiote.

─ Je... vois.

Louka leva les yeux au ciel.

Comme Milo.

C'était agréablement familier.

J'étais clairement attirée par lui - comme l'autre fille, tout à l'heure. Mais, moi, je plaisantais parce que ça me déstabilisait. D'être attirée par lui. C'était débile. Comme si un homme souffrant d'un handicap quelconque ne pouvait pas être agréable à regarder.

En réalité, le fait qu'il n'y voyait pas me troublait. C'était un peu bizarre de discuter avec lui sans qu'il sache même quelle tronche j'avais, mais j'aimais bien ça. En plus d'une belle gueule, il avait du répondant, l'animal.

─ Ca fait midinette, « Louka », dis-je pensivement. En fait, ça fait gay.

Louka poussa un long, très long soupir.

─ Tu me dis ça toutes les semaines depuis que t'as commencé à débarquer ici. Change de disque, c'est lassant.

─ C'est parce que ça me frappe à chaque fois. « Louka ». Pas terrible. T'as plutôt une tête à t'appeler « Rémi », en plus.

─ Non que je t'aie jamais demandé ton avis, Miss Lays.

─ Tu connais Rémi sans famille ? enchaînai-je.

─ Pas mon dessin animé préféré, Miss Lays.

─ « Miss Lays », c'est pas un nom. Pourquoi tu ne me demandes pas comment je m'appelle, comme tout être normalement constitué ?

─ Je te demande pas parce que ton nom ne m'intéresse pas et ce n'est pas de ma faute si tu ne bouffes que ça, des chips. Tu dois être énorme. Fais un régime, apprends à manger sainement !

Quelqu'un de normal en serait probablement resté là et serait parti. Au lieu de quoi, je passai la main dans mes cheveux détachés et m'accoudai au comptoir comme si j'étais au troquet du coin.

─ Tu lis quoi en ce moment, Louka-mignon ?

La persévérance, c'est la clef du succès. Ses cheveux blonds étaient foncés, et leurs reflets, aussi dorés que ses yeux, d'un noisette très chaud. Le garçon en or. C'est comme ça que je le surnommais quand je parlais de lui à mes amis.

La Lune de Miel (HB tome 4)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant