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Septembre


─ Je suis rentré, Clochette. Où es-tu ?

─ Dans la buanderie !

Je traversai l'appartement immense et tout neuf pour la trouver dans la petite pièce derrière la cuisine, en train d'examiner la machine à laver d'un air dubitatif.

─ C'est plus compliqué que ça en a l'air... t'y comprends quelque chose ? J'avais demandé à Mère de ne pas nous acheter un truc dernier cri, mais elle n'a pas écouté.

Chloé portait un short noir et un t-shirt bleu pâle, et avait attaché ses cheveux blonds sur la nuque. Je la trouvai plus jolie que jamais. Elle posa le poing sur la hanche en me voyant.

─ Hey ! Ca va ? Et la baguette que je t'ai envoyé acheter ?

─ Chloé...

─ Oui ? fit-elle avec un grand sourire.

─ C'est fini.

Chloé se figea.

─ Quoi ? fit-elle lentement.

Elle battit plusieurs fois des paupières, comme si elle émergeait d'un rêve.

─ C'est fini, répétai-je plus distinctement, moi-même surpris par mes mots.

A vrai dire, je ne m'étais pas attendu à les dire.

Pas aujourd'hui.

Pas comme ça, alors qu'elle s'apprêtait à lancer notre première lessive, et qu'on allait déjeuner bientôt.

Sauf que c'était dit. Comme si j'étais incapable de contenir les mots, à force.

Chloé me fixait en silence, l'air éberlué. Au fur et à mesure qu'elle prenait conscience de ce que je venais de dire, cependant, sa respiration se faisait plus hachée, plus sifflante.

─ Qu'est-ce que tu racontes ? fit-elle d'une voix tremblante.

Rage ? Tristesse ? Je n'en savais rien, mais toute couleur avait quitté son visage.

─ Je raconte que c'est fini entre nous.

─ On se marie dans quelques jours.

─ Non, on ne se marie plus.

─ Quoi ? Mais pourquoi ?!

─ Je ne peux pas continuer, dis-je. Pas comme ça. Je ne veux rien de tout ça.

─ Je ne comprends pas.

─ Je ne veux pas de cet appartement. Je ne veux pas de ce poste à France Télévisions. En fait, j'ai mis fin à la période d'essai...

─ T'as même pas commencé.

─ Je n'en ai pas besoin, Chloé.

─ Mais... et moi ? MOI ?

Je tendis la main pour la poser sur son épaule, dans un geste d'excuse, mais elle se déroba et me tourna le dos.

─ Vraiment, Alessio ? Si tu n'es pas prêt à te marier, finalement... pourquoi devrions-nous aussi arrêter notre relation ?

─ Chloé... tu sais pourquoi.

─ Tu te moques du monde. C'est toi qui voulais te marier. On était pas obligé.

─ Je suis désolé.

─ Ne dis pas ça ! explosa-t-elle tout à coup, le visage défiguré par une colère et une haine véritables. Ne fais pas amende honorable. C'est pire. Comment oses-tu ? Comment oses-tu me faire ça ?

Je gardai une voix calme.

─ Je pense qu'il vaut mieux qu'on arrête maintenant avant de faire une bêtise.

─ La bêtise, c'est le mariage, c'est ça ? ricana Chloé.

─ Oui.

─ Ce n'est pas une bêtise. C'est un beau projet pour un couple qui s'aime. Je t'aime. Tu disais que tu m'aimais. Tu l'as toujours dit. Tu m'aimes. Je le sais que tu m'aimes.

Je ne répondis pas immédiatement. Mon cœur battait à tout rompre. Je n'avais pas envie de parler de sentiments avec elle. C'était le plus difficile. Les sentiments.

─ Evidemment que je t'aime, dis-je finalement, une boule dans la gorge, mais... ça ne suffit pas.

Honnêtement, ce n'était pas que je ne l'aimais pas. C'était que je l'aimais différemment de ce que j'avais toujours cru. Un amour qui était fort, mais pas assez pour résister à un autre. A présent, impossible de voir un futur avec elle. Ce n'était pas elle que je voyais à mes côtés, mais celle que j'avais toujours vue. Il n'y avait que Dani, partout, depuis cet été. J'avais lutté et j'avais perdu. A quoi bon s'entêter ? Je n'allais gâcher son avenir et le mien en marchant jusqu'à l'autel avec elle...

─ JE ne suffis pas, c'est ça ? fit Chloé entre ses dents.

─ Tu es parfaite. Simplement je... je désire autre chose. Parfois, j'ai l'impression qu'on ne devrait pas être ensemble... Pardon, soufflai-je tandis qu'elle se mettait à pleurer, ce qui me tordit les boyaux.

Il fallait en passer par là. Je n'avais pas le choix. Tout ça avait trop duré.

─ Pardon, Chloé, chuchotai-je, me mordant la lèvre. Je m'en veux terriblement d'en arriver là, mais on ne peut pas continuer après tout ce que j'ai fait cet été. Je ne peux pas. Ce n'est pas correct... et ce n'est pas ce que je souhaite. Ce ne serait pas bon pour nous. Je suis désolé.

Elle ne dit rien, ce qui était pire, bien pire que des cris ou des insultes. J'avais le cœur dans la gorge, la poitrine serrée. J'avais conscience de lui briser le cœur et ça me faisait mal, aussi.

─ En plus, notre relation n'est pas équilibrée. Ce sera toujours Dani, avouai-je.

─ Alors, tu m'as fait perdre mon temps.

─ J'y croyais, Chloé, sinon, on n'aurait pas passé ces deux belles années ensemble. J'avais... j'ai... enfin j'ai besoin de toi. Tu auras toujours une place spéciale pour moi, murmurai-je. Mais, je... c'est mieux ainsi. Je te fais du mal, et je ne le supporte pas, je ne peux pas continuer.

Je caressai sa joue, posai un baiser sur son front. Les larmes coulaient silencieusement sur ses joues. Je la serrai dans mes bras. Elle se laissa faire une seconde, avant de me repousser violemment, sanglotant.

─ Chloé...

─ Non ! Tais-toi.

Elle me tourna le dos, entourant ses genoux de ses bras.

─ Elle ne te rendra pas heureux, Alex, dit-elle d'une voix blanche. Tu es aveuglé par de vieux sentiments, ou peut-être son joli physique. Tu fais une erreur et tu t'en mordras les doigts, tu verras.

─ Honnêtement ? Je ne pense pas. Je suis sûr de moi.

─ Alors va t'en. VA. T'EN. Pour moi, tu es mort. Je ne veux plus jamais te voir. Adieu.

─ ...

Je pris mes affaires dans la chambre et quittai l'appartement.

Au dehors, le grand soleil de l'été indien semblait me narguer.

Je passai devant la boulangerie, et ma gorge se serra.

Pas de baguette. Pas de déjeuner. Plus de Chloé.

Juste comme ça, mon destin avait changé. Prit une autre direction.

Et puis... c'était ça qu'on ressentait, quand on brisait le cœur de quelqu'un ?

C'était encore plus amer que de subir, en quelque sorte.

Et je parlais d'expérience.

J'avais l'habitude d'être de l'autre côté...



─ Alessio, ça va ?

Dani caressait mon mollet de son pied nu. Je revins au moment présent.

─ Oui, ça va. Alors ? On fête ton nouveau travail ?

─ Ouiiii ! Sabrons le champagne !

─ Tu veux dîner ici ? On pourrait aller danser, si tu veux. S'éclater dans une boîte ou autre.

Dani se pencha vers moi, coudes sur la table, le visage dans les mains. Ses yeux brillaient d'excitation et son sourire était contagieux et son décolleté fort beau.

─ Je préfère qu'on fête ça à la maison, juste tous les deux. Je peux préparer un dîner spécial... romantique... ça te dit ?

─ Carrément. Je n'ai rien à faire.

─ Si, tu seras mon commis. On va faire deux-trois courses, avant de rentrer ?

─ Allez.

Elle bondit sur ses pieds, toute joyeuse, renfila sa chaussure à talon et me tira des deux mains pour que je me lève à mon tour. J'eus tout juste le temps de jeter un billet sur la table avant qu'elle ne m'entraîne dans la rue. Je passai le bras autour de sa taille et l'embrassai sur la joue, amusé par son énergie.


La Lune de Miel (HB tome 4)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant