Orphelin

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L'air s'était humidifié, Aéris sentit ses poumons se gorger d'inquiétude. La valeur de la vie, c'est le genre de questions que l'on se pose dès l'adolescence, parfois même avant et ce, tout au long de notre vie.

La rousse ne trouvait pas de lien avec la conversation, la valeur d'une vie ? N'est-ce pas ce qu'il y a de plus précieux que toute autre chose ? Sa valeur doit-elle se compter même ?

- Eh bien...elle est importante, j'imagine. C'est un cadeau du ciel, et même s'il m'était difficile de l'apprécier autrefois, je dirais que ça a changé et qu'aujourd'hui je souhaite vivre plus que jamais. Apprendre à vous connaître et penser que je suis enfin à ma place avec vous mais- ah, pardon, on s'éloigne du sujet, pourquoi cette question ?

- ... Si un jour, quelqu'un que tu aimais mourrait sous tes yeux de la main d'un inconnu... comment tu réagirais ?

Aéris déglutit, stopée net alors que Félix était déjà plus loin dans le sentier. Il s'arrêta à son tour. Le visage relevé vers le ciel et le ton employé par le châtain empêcha Aéris de le reconnaître sur le moment. Il refusait de la regarder, il ne s'en sentait pas capable.

Il avait un regard vide, comme si son esprit divaguait, ses paroles étaient dénuées de toute intonation, il ne parlait pas vite, ni fort, ni doucement. Il parlait le plus simplement du monde, sans plus, on pourrait parler de coquille vide, un robot programmé pour parler.

- Félix..., qu'est-ce que ça veut dire ? se risque-t-elle tout en gardant une certaine distance.

Le châtain vit la distance qu'avait établit la rousse, bien sûr, il ne pouvait pas lui en vouloir, au contraire, il préférait cette réaction.

- J'avais 8 ans quand quelqu'un s'est introduit chez nous. Il faisait nuit noire, rien n'était visible puisqu'il s'agissait d'une nouvelle lune, commence-t-il. Mon père avait pas mal de dettes, mais il allait enfin pouvoir toutes les rembourser dès le lendemain.

Aéris reprit son calme, il allait s'expliquer, d'accord. Elle avança d'un pas et vit son ami reculer de deux, d'accord. Elle s'assit sur le premier rocher qu'elle trouva.

- J'ai entendu des hurlements au salon alors je me suis levé pour descendre les escaliers. La baie vitrée était brisée, le reflet du verre à cause de la lumière du lampadaire de dehors m'aidait à savoir où j'étais, mais aussi à voir mieux que jamais. Le verre baignait dans du sang, celui de ma mère... éventré sur le parquet.

L'information eut du mal à arriver au cerveau de la rousse. L'image même de cette atrocité alors que Félix n'avait que 8 ans la fit horriblement frissonner au point de vouloir vomir.

- Mon corps hurlait de s'enfuir, mais j'ai entendu un bruit sourd venant de la porte, une silhouette tenait mon père en otage, il avait le visage défiguré, ensanglanté. Je ne connaissais pas cette personne, mais maintenant que j'y pense, ça devait être un "nettoyeur".

Aéris avait tellement de mal à voir ça comme une réalité qu'elle chercha à faire comprendre à son cerveau qu'il s'agissait d'une histoire racontée, d'un film... mais les tremblements de son corps ne mentaient pas, ils connaissaient la vérité, et cela l'effrayait.

- En une fraction de seconde, mon monde s'est effondré... la seconde d'avant mon père pleurait silencieusement toutes les larmes de son corps, et la seconde d'après sa tête roulait sur le parquet froid de la maison. Après ça, je me souviens m'être enfui dans le bureau de mon père pour prendre son flingue, il avait tendance à le laisser traîner, mon cerveau d'enfant ne comprenait pas, mais mon corps savait comment survivre. L'assassin m'avait poursuivi, et lorsqu'il est entré dans la pièce, j'ai tiré. J'ai tiré une balle qui l'a tué sur le coup...

Le silence s'installa, l'atmosphère était étouffante pour Félix qui se tourna dos à la rousse. Il ne voulait pas la regarder en face, pourquoi ? Parce qu'il n'était ni triste, ni en colère, il ne se sentait même pas coupable de son acte...rien...il ne sentait rien, à peine si le froid qui gelait son corps plus tôt lui faisait de l'effet.

En revanche, il se détesta d'avoir raconté une telle chose à Aéris. Elle allait ne plus l'approcher, cela semblait évident. Pourtant, alors qu'il cherchait un autre sujet moins lourd, il sentit des bras entourer sa taille alors que le visage de la rousse s'écrasait dans son dos.

L'étreinte était chaude, silencieuse, seul la respiration d'Aéris se faisait maîtresse des lieux. Elle était terrorisée, elle tremblait tellement, et pourtant, elle ne s'éloignait pas, un acte paradoxal que Félix ne comprenait pas.

Il resta néanmoins silencieux, jusqu'à ce qu'Aéris cesse de trembler. Doucement, il retira les bras qui le maintenaient et se tourna en prenant délicatement les mains gelées de la rousse. Il la fixa longuement alors qu'elle avait baissé la tête.

- Tu ne devrais pas faire ça, murmurre-t-il.

- ... Et pourquoi pas... ?

- Je comprends que tu veuilles me réconforter mais je ne ressen rien Aéris. Je n'ai même pas regretter ce que j'ai fait.

- ... Ce n'est pas de ta faute, marmonne-t-elle.

- Arrête ça.

- C'était un accident.

- Ça n'avait rien d'un accident... j'ai enlevé une vie, alors arrête maintenant, fit-il doucement.

- NON ! s'écrie-t-elle.

Elle releva vivement la tête pour fixer son ami. Félix écarquilla les yeux, elle pleurait, elle pleurait à chaudes larmes en gardant les mains de Félix dans les siennes, elle voulait s'accrocher à lui, comme s'il allait disparaître d'une seconde à l'autre.

Il ne sut comment réagir, il ne voulait pas qu'elle pleure, comment la consoler maintenant ?

- ... Ce n'était pas ta faute... si tu n'avais pas fait ça tu serais mort... c'était un accident... tu n'y es pour rien, tente-t-elle d'articuler.

- ... Aéris.

- Tu paraîs  toujours si joyeux et calme... te voir comme ça c'est... c'est comme te voir te tuer à petit feu. Tu as été un soutien très important pour moi, tu m'as aidé pour ma crise, tu m'as écouté me plaindre, tu m'aides à m'accepter... et tout ça sans broncher, tu me parlais si gentillement sans faillir, à un moment j'ai cru parler à un robot. Tu es humain Félix, tu as un cœur et des sentiments. Tu as le droit d'aller mal ou de flancher, ça ne veut pas dire que tu es faible. Je n'ai pas besoin d'un ami qui prend seulement, déclare-t-elle sans pause.

- ...

- Je veux que tu me parles de toi... je veux en apprendre un peu plus tous les jours, je veux que quand tu es avec moi et les autres tu te sentes libre et pas que tu gardes tout pour toi.

Cette fois elle avait cesser de pleurer, mais elle gardait toujours les mains de son ami. Félix ne savait plus quoi dire à part sentir sa gorge se nouer. Il soupira doucement et posa sa tête sur l'épaule de la jeune femme.

- ...Je peux...? murmurre-t-il.

Il n'avait pas besoin d'entendre de réponse, la main de la rousse parcourant ses cheveux lui suffit.

L'atmosphère se détendit, l'air frais fit du bien au duo. Quelques minutes s'écoulèrent avant qu'Aéris ne constate les larmes de son ami. Il ne voulait pas lui montrer son visage. Sa voix cassée démontrait son état, et même si la rousse semblait perturbée, elle sourit de soulagement. Le Ciel avait entendu ses prières, Félix pouvait enfin se laisser aller.

EnotiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant