Je suis dans la nuit complète. J'ouvre les yeux, mais ne distingue rien. J'ai mal partout et surtout je manque atrocement d'air, je n'arrive plus à respirer et l'odeur de l'essence sur moi ne m'aide pas. Je suis enfermée, ça je le comprends bien, mais dans quoi, comment ? Que s'est-il passé au théâtre ? Je sens que sous mon corps, ça bouge, je tape avec le peu de force que j'ai contre une paroi. Tout s'est figé en un instant, j'entends des voix et le couvercle s'ouvre.
– Vous êtes déjà réveillée ? me demande une voix en japonais.
Une main m'aide à me redresser et je vois des visages d'hommes asiatiques. L'un d'eux me recouvre aussitôt d'une couverture et m'aide à sortir de la caisse dans laquelle j'étais enfermée et que je regarde avec curiosité.
– Anti-feux, m'explique l'homme en me voyant faire la grimace.
J'observe les hommes, nous sommes dans une camionnette. Ils n'ont pas l'air de vouloir me tuer. Je respire mal, je tousse, j'ai des douleurs partout alors le même homme m'aide à m'asseoir, un autre me tend une gourde d'eau, puis à nouveau nous bougeons, le véhicule reprend la route.
– Eichi ? osé-je à peine dire.
L'homme opine du chef. Je m'allonge au sol et je m'endors.
Mon réveil est doux. Le soleil traverse les rideaux de la chambre dans laquelle je repose tranquillement allongée dans un lit dont les draps sentent bon. Je suis habillée d'une tenue d'hôpital pourtant la chambre ne ressemble en rien à un hospice. Des fleurs fraîches reposent dans un vase, elles sont si belles que les larmes me viennent. Je suis encore en vie. Je tente de me redresser, mais les douleurs de mon corps m'en empêchent.
Une femme, une soignante, semble-t-il, entre dans la chambre surprise de me voir réveillée.
– Bonjour, mademoiselle Lefranc, c'est bien comme cela que l'on prononce votre nom ? Me demande-t-elle dans un français qui semble ne pas être sa langue maternelle.
– Je suis où là ?
Je ne comprends rien à ce qui m'arrive. Je regarde la femme qui semble encore plus déconcertée que moi.
– En maison de repos. Vous êtes en Suisse. Pas très loin de Genève.
– Mais qu'est-ce que je fais ici ?
Elle me scrute avec curiosité, me fait un signe de la main, quitte la chambre et quelques minutes plus tard, un homme en costume vient me voir.
– Je suis le docteur Müller, directeur de ce centre. Vous êtes ici depuis cinq jours. On va dire que nous avons des intérêts en commun vous et moi, ou plutôt un ami en commun.
– Eichi Kitano ?
– La famille Kitano a des connexions dans de nombreux endroits comme toutes les personnes de leur espèce si j'ose dire, fait-il gêner en se raclant la gorge. J'ai reçu l'ordre de vous remettre sur pied, mademoiselle Lefranc. Marie Lefranc, c'est bien cela ?
– Oui.
– Et quand vous irez mieux, je dois m'assurer que vous irez bien en France, à Paris, n'est-ce pas ?
– Oui.
– Notre ami en commun a fait parvenir des affaires à vous que vous avez oublié lors de votre séjour en Serbie. Des documents, un téléphone si j'ai bien compris et votre voiture qui dort sur le parking du centre.
– D'accord.
Je le regarde s'agiter un peu dans la chambre, je l'écoute, mais j'ai l'impression de ne rien comprendre.
– C'est étrange d'ailleurs. Vos affaires personnelles sont arrivées avant vous. Oh et ça aussi, dit-il en me tendant une enveloppe rouge carmin. Je reste à votre disposition si vous avez besoin. Votre état suggère encore plusieurs semaines de calme, alors reposez-vous bien.
J'attends qu'il quitte ma chambre pour ouvrir l'enveloppe. Je sais que je me suis trompée. Ce n'est pas Eichi, en tout cas, pas totalement. C'est papy. Je lis la lettre.
« Chère Nina,
Quand tu liras ces quelques lignes, je reposerai enfin en paix. J'aurai rejoint avec bonheur ma femme et ma fille et peut-être qu'ensemble nous pourrons enfin contempler les cerisiers en fleurs.
Tout le monde doit mourir, chère Nina. Et en ce qui me concerne, choisir ma mort fut un réel plaisir. J'étais prêt à mourir. C'est moi qui ai choisi de partir, en aucun cas, tu en es responsable. Je savais qu'un jour, je devrais assumer les conséquences de mes actes. Faire tuer son propre fils et son petit fils... Il fallait bien que je paie pour cela, non ?
Voir loin Nina.
Je savais que tu étais capable de mettre en place un tel plan. J'ai suivi chacun de tes pas depuis le jour où tu as quitté ma maison. Je t'ai observé de loin. J'ai vu le courage, mais aussi l'honneur de la femme que tu es devenue. Je n'ai jamais douté de toi. Ton père aurait pu être fier, tu as la valeur de n'importe quel homme du clan. Ta mère aurait pu être fière, tu es malgré tout douce, intelligente et très jolie, dit le vieil homme qui t'a vu grandir.
Voilà toutes les qualités qui font la femme que tu es aujourd'hui. Ne vis plus dans ton passé, regarde devant. Vois loin, Nina. La France, Paris, l'amour et la vie qui t'attendent. Sois heureuse comme moi je l'ai été de te rencontrée. Une étrange, mais magnifique rencontre. Tu es une Kitaro dans mon cœur.
Vis Nina, ou plutôt devrais-je dire Marie.
Je devrais peut-être écrire quelques lignes sur l'homme aux cigares, même s'il ne les mérite pas. Il est mort d'un cancer quelques années après notre rencontre. Je n'ai rien dit parce que je voulais que tu accomplisses tes missions. J'ai joué avec toi. Ne t'avais-je pas dit que nous jouions une partie de igo à taille humaine ? Alors l'idée que tu tues plusieurs de ces salauds dont je fais partie à germer en moi et je t'ai servi le théâtre sur un plateau. Ta vengeance est ainsi faite. Je ne sais pas si elle te sera réellement utile dans ta nouvelle vie. L'amour est plus important et plus fort que tout, chère Marie. Trouve-le.
Papy.
Est-ce bien comme cela que tu m'appelais en cachette ?PS : La voiture n'est pas en très bon état, mais pour quelqu'un qui n'a jamais passé son permis, ça devrait suffire à te conduire à Paris ! Profite du paysage, prend ton temps. »
Les derniers mots ont effacé ma grande tristesse. Je souris même. J'ai une pensée pour Zed, Mily et Adam. Ils se sont sacrifiés pour nous, pour moi. Je dois vivre pour eux. Je ne dois pas abandonner, pas encore, ce n'est pas l'heure de ma mort. Je vais vivre. Marie Lefranc va prendre vie.
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NINA
General Fiction"Kocham cię" répétait ma maman pendant que je la regardais mourir. Papa aussi a brûlé dans les flammes de l'enfer. J'avais 6 ans. Et puis, ILS ont fait de moi un objet. ILS m'ont tout pris, mon enfance, ma dignité, mon nom... ILS pensaient que j'al...