Chapitre 3

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- Non ! Pitié ! hurle mon père en polonais en se prosternant à genoux devant un grand homme en costume noir qui lui écrase son cigare sur le front.

- Tu nous as trahi Marek ! lui répond un autre homme.

Deux hommes aux visages terrifiants pour la petite fille que je suis attachent ma belle et douce maman à une chaise, puis mon père et moi aussi. Chacun sur sa chaise, nous formons un triangle. Un des hommes nous asperge d'essence tour à tour. C'est dégoûtant dans ma bouche, ça me brûle aussi la peau. Ma maman me regarde avec beaucoup d'amour. Je lis sur ses lèvres le plus beau « kocham cię», je t'aime en polonais. Je suis terrifiée. Je me fixe sur les lèvres de ma maman, elle répète des « je t'aime » avec tout son amour pour moi. Mon père pleure et implore encore l'homme qui rallume son cigare avec une allumette qu'il jette sur ma maman qui s'embrase aussitôt. Elle hurle, elle crie, c'est terrifiant. Je pleure de tout mon être et puis l'homme gratte à nouveau une allumette, mon père le supplie encore et l'allumette atterrit sur le blouson de mon papa qui s'enflamme à toute vitesse. Mon père crie autant que ma mère. Je les regarde brûler pendant de longues minutes, on me donne un coup violent et puis c'est le noir. J'ai sombré dans l'obscurité.

Je me réveille parce qu'on me secoue. Je ne sais pas où je suis. À l'arrière d'une camionnette on dirait. Un homme me soulève comme un sac de riz et me lâche plus loin dans un hangar où trois autres enfants sont assis sur le béton froid.

Il y a plein d'hommes qui s'agitent. Certains d'entre eux ont des armes à la main. Ça crie, ça parle fort, ça rit. Ils parlent russe. Je le sais, maman était russe, elle m'a appris sa langue maternelle en cachette, car papa ne voulait pas. Les Russes et les Polonais ne s'aiment pas ! disait-il à ma mère. Tu es polonaise Anna, POLONAISE !

C'était faux, maman était russe, mais papa disait qu'elle était polonaise comme lui. Pour la protéger parce qu'il aimait comme un fou ma maman. Il lui faisait toujours des cadeaux, des bisous, et elle riait.

Je pue l'essence, j'ai froid, j'ai peur, j'ai faim aussi. J'ai une forte douleur au ventre. Le coup que l'on m'a donné ? Je veux ma maman. Je pleure en silence.

Les autres enfants pleurent beaucoup. Un des garçons crie même et un homme vient le frapper en lui hurlant dessus.

- Putain Lyov ! N'abîme pas la marchandise ! Hurle en russe un homme en costume, avant de reprendre sa discussion avec un autre homme dans une langue que je ne connais pas.

La fille à côté de moi doit avoir une dizaine d'années, elle a les cheveux marron clair et des yeux bleus. Elle pleure, mais elle me parle. Je ne comprends rien à ce qu'elle me dit. Ce n'est ni russe ni polonais. Je la regarde avec de grands yeux et je lève les épaules.

- Je ne comprends pas, lui dis-je.

Elle me fixe et éclate en sanglots. Je crois qu'elle ne m'a pas comprise non plus. Du coup, je donne une petite tape sur le bras du garçon plus près de nous et je lui parle. Il me regarde, les yeux remplis de peur et prononce des mots que je ne comprends pas non plus. Ce ne sont même pas les mêmes que la fille.

Un des hommes en costume vient vers moi et m'observe, l'autre le rejoint.

- Tu as quel âge ? Me demande-t-il en russe.

Je me souviens de ce que maman a dit : « ne parle pas russe, et surtout, ne réponds pas si on te parle russe, fait comme si tu ne comprenais pas ». Alors, je me tais, je ne dis rien.

- Elle est polonaise, c'est la fille de Marek, lui explique l'autre homme discrètement, mais moi j'entends et je comprends.

- Marek, soupire-t-il en me dévisageant. Et sa femme ?

- Morts, tous les deux, sinon la petite ne serait pas là.

- Anna. Anna était une très belle femme.

- Oui, elle était.

- Quel âge elle a ?

Les deux hommes me regardent à nouveau, je pleure, je me suis fait pipi dessus. Je veux ma maman.

- Six ans. Vlasi était à sa fête d'anniversaire il y a deux mois. Marek avait voulu fêter les six ans de sa fille.

- Si elle devient aussi jolie que sa mère, elle va nous rapporter pas mal de fric.

- Si elle ne meurt pas avant comme la plupart des autres.

- Maman ! Je veux maman !

Je me lève et tape sur un des hommes en hurlant en polonais. Je le tape avec mes deux petits poings serrés très fort. Je crie, je cogne, je pleure. Je prends une gifle, je tombe au sol. Les autres enfants hurlent de peur. Il y a un coup de feu qui résonne dans le hangar. Je suis terrifiée.

- Marquez-les, dit l'homme qui m'a giflée.

Nous nous retrouvons tous les quatre dans une autre pièce, devant un feu autour duquel s'agitent des hommes. L'un d'eux prend le bras du grand garçon avec violence, sort un piquet en feu des flammes et le pose sur la peau. Le garçon hurle de douleur. Nous pleurons tous.

Je pleure encore en regardant le huit étrange dessiné sur mon poignet droit. C'est rouge vif, ça fait très mal, je veux ma maman.

Ensuite, nous montons dans une camionnette, puis une voiture, et je ne sais plus quoi et enfin un avion, un vrai avion avec des militaires dedans. Je n'ai jamais pris l'avion. Où est-ce que je vais ?

NINAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant