Chapitre 22

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J'entre dans le bureau du responsable de ce motel, qui cache en fait un trafic de prostituées. C'est ma première mission. Une sorte de test. Je joue les allumeuses, je chauffe l'homme à la barbe légèrement rousse qui se replace déjà sans ménagement son attirail dans son pantalon. Lui, c'est le gérant de ce petit bordel de bord de route.

- Putain t'as l'air bonne toi... grogne-t-il quand je m'assois sur son bureau.

- Si tu savais, dis-je en souriant.

Sa main remonte sur une de mes cuisses nues, ses yeux sont occupés par son geste. J'empoigne ses cheveux et je lui écrase la tête avec violence contre le rebord du bureau. J'ai entendu son nez se briser, il tente de gueuler, mais je me suis déjà levée, postée derrière lui, j'ai à nouveau agrippé ses cheveux, je tire sa tête en arrière et je tranche sa gorge. Je tiens encore ses cheveux, je fais légèrement le tour pour admirer mon œuvre. J'aurais peut-être dû trancher plus bas...

Je viens d'avoir vingt-et-un ans, et papy me fait faire plusieurs petites missions que j'accomplis sans broncher. C'est de l'entraînement à taille réelle. Après avoir passé une année entière enfermée à apprendre à me battre et tuer avec l'aide de différents professeurs, à prendre beaucoup de coups, à avoir des fractures et blessures, je teste mes compétences acquises sur des petits malfrats et trafiquants en tout genre. Ça fait du nettoyage aussi. Mais bon, un de tué, un qui prend sa place. On ne change pas l'être humain.

Sur un minuscule carnet que je garde toujours sur moi, je mets des barres pour chaque homme que j'ai tué. Et là, je trace mon douzième trait en cinq mois. Pas mal. Mes professeurs sont satisfaits, papy aussi, Michiko marmonne toujours des remarques en voyant mes tenues de pute tueuse.

« C'est trop court », « c'est indécent ! », « Nina ! Il y a moins de tissu que la dernière fois ! ». C'est comme ça. J'opère dans un milieu de prostitution, de trafiquants, je ne vais pas mettre une robe de princesse ! Et puis, je reste encore Nina. Nina la pute. Nina qui la nuit venue, rêve d'Eichi dans son lit. Je rêve d'un mariage, d'une jolie maison, d'un jardin où me balader, et parfois d'une petite fille répondant au doux prénom d'Anna, comme ma douce maman dont j'ai oublié le visage.

Michiko me dit de me regarder dans le miroir, je suis certaine d'y voir maman. Je dois lui ressembler. Mais je crois que maman était bien plus belle que moi.

Pour la première fois de ma vie, j'ai coupé mes cheveux plus courts que jamais. Ils arrivent justes à la hauteur de mes épaules alors que je les ai toujours eus à mi-hauteur du dos. Et pour la première fois aussi, je porte une perruque. Des cheveux noirs. Avec mes yeux bleus, c'est classe quand même ! J'enfile une robe moulante et décolletée couleur or avec talons aiguilles. Je me regarde dans le miroir sur pieds. Provocante, mais peut-être trop « femme » pour lui. Je suis en Italie, j'ai une invitation pour une soirée chic, obtenue par papy et ses hommes. Me revoilà dans la maison du clan d'oncle Tony. La douceur de ce début d'été est agréable malgré tout je hais cet endroit et la douleur dans mon ventre ne me trompe pas. Ici, la petite fille que j'étais a vécu l'enfer.

Je passe de groupe en groupe, j'écoute, j'observe, je me fais draguer plusieurs fois, je joue une femme de clan à merveille. J'ai tellement écouté de conversations toute ma vie, que je sais de quoi tout le monde parle et souvent aussi de qui. Je suis à l'aise en italien, et dans les autres langues. Et si mes parents n'étaient pas morts, serai-je devenue la femme d'un haut membre d'un clan ? Certainement pas un clan italien et encore moins japonais. Je serai mariée à un polonais, voir éventuellement un Russe même si mon père aurait refusé une telle situation, en aurait-il eu le choix ? Eichi est marié de force, même s'il garde le pouvoir d'un homme, en ayant autant de maîtresses qu'il veut. Sa femme elle... Ma gorge se noue à cette pensée. Sa femme. Ressaisis-toi Nina. Garde ton esprit clair et ouvert.

Je trouve enfin les hôtes de cette soirée. Ils ont vieilli, mais pas trop. Vont-ils me reconnaître ? Peu probable quand même. Et ce gros porc de Tony est assis sur le même fauteuil où je l'ai rencontré la première fois. J'aimerais lui sauter dessus et lui planter de nombreux coups de couteau. J'en rêve, je veux qu'il crève à petit feu et qu'il souffre à l'entendre me supplier, mais je n'abrégerai jamais ses souffrances. Je veux qu'il ait mal, très mal.

Je repère un homme du groupe un peu plus discret que les autres. C'est à lui que je dois faire du charme, pas directement à Tony ou ses frères. Lui. J'ai choisi ma proie. Et il me faut peu de temps pour l'amadouer. J'ai des atouts et je connais trop bien les hommes. Il bave ce con et j'imagine qu'il doit déjà se faire des films de lui et moi dans un lit. Quand il me conduit fier de lui et de sa trouvaille du soir près du groupe, mon estomac joue des siennes. Me retrouver face à Tony et ses deux frères, c'est un supplice. Il me vient une envie de vomir monstrueuse que le verre de gin que me donne l'homme qui me tient par le bras ne fait pas disparaître. Putain Nina. Sois forte !

Je ris comme une idiote aux plaisanteries sexistes, racistes et parfois morbides de ces hommes que je hais. Que cherchent les femmes qui viennent dans ce genre de lieu pour draguer ce genre d'hommes ? Du fric ? De la reconnaissance ? De la baise ? Non quand même pas. Ils sont répugnants pour la plupart, car je sais qui ils sont vraiment. Des monstres. Ils tuent, ils volent, ils violent, et ils rient des morts qu'ils sèment partout. Mon père était donc l'un d'eux. Je suis issue de ce monde ignoble ? L'envie de vomir augmente et pire quand un petit garçon d'une dizaine d'années vient s'asseoir sur les genoux d'oncle Tony. Vu le visage mort de ce petit garçon, ce n'est pas un neveu de la famille. C'est moi il y a dix ans de cela. Mon ventre me lâche. Je prétexte une excuse à la con et je me précipite dans les toilettes où j'évacue toutes mes peurs, ma haine, mes souvenirs douloureux et le fanatisme d'oncle Tony. Je ne suis pas assez forte, j'ai envie de pleurer.

Quand je sors des toilettes, mon cœur stoppe son battement fou. Olivia se repoudre le nez. Elle a pris un sacré coup de vieux. Ça me fait plaisir de la voir ridée. Elle se tourne vers moi et me regarde.

- Vous avez une sale tête... un verre de trop ?

Connasse.

- On ne s'est pas déjà vu ? reprend-elle.

- Peut-être.

Je me dirige vers la porte des toilettes en cherchant s'il y a quelqu'un d'autre. Personne. Je ferme le verrou de la porte principale avec discrétion. Je me mets à chantonner ma berceuse. Olivia se met du rouge à lèvres. D'un geste rapide, je lui écrase sa tête contre le robinet du lavabo, le bruit que fait son visage est dégoûtant. Elle ne dit rien quand je la relève, peut-être ne peut-elle plus crier, je ne vois que ses yeux horrifiés et le sang qui recouvre son rouge à lèvres pétant. Je recommence, je tape plusieurs fois sa tête contre le lavabo et je lui souffle à l'oreille une petite chanson de mon cru.

- Je suis Nina, je suis Nina et tu vas crever salope.

Son visage n'est plus, elle vomit du sang, mais elle n'est pas encore morte. Je dois la finir, mais avec quoi ? Tous les invités ont été fouillés à l'entrée, je ne pouvais même pas avoir un petit couteau. Alors je brise le miroir avec mon sac à main. Je prends un morceau et je lui assène des coups partout. Son corps émet des soubresauts, je jubile.

Finalement, ma soirée n'est pas si pourrie que ça.

Je m'éclipse rapidement des toilettes, puis du couloir, puis de la maison. Les gorilles de l'entrée me regardent partir à vive allure sans réagir. Puis je cours vers la voiture sombre qui m'attend sur le parking. Ma voiture avec chauffeur.

- Go ! Go !

Je panique, je me retourne cent fois pour voir si nous ne sommes pas suivis. J'ai tué Olivia, mais pas oncle Tony. J'ai failli à ma mission.

NINAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant