Chapitre 33

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Avec les informations obtenues par Adam, j'ai retrouvé l'autre enfant de l'infini, mais à l'hôpital d'Amsterdam. Je suis devenue le genre de personne qui peut entrer dans n'importe quel lieu et devenir n'importe qui. C'est devenu un jeu. Dans cet hôpital, je suis devenue une soignante en blouse blanche au chevet d'une femme en soin intensif. Elle ne ressemble plus vraiment à une humaine. Son corps est parsemé de beaucoup de bleu, de mauve, de rouge, de cicatrices en tout genre. Le reste est recouvert de pansements, de tuyaux et son visage n'est qu'un amas de bandages.

Un soignant entre dans la chambre et me parle, mais je ne comprends rien à ce qu'il me dit. Je ne parle pas néerlandais. Bizarrement, je n'ai pas été pute dans ce pays. L'homme me regarde avec curiosité alors j'ose lui parler en anglais.

– Elle a été trouvée nue dans une poubelle, me dit-il en m'observant. Vous êtes qui ? Nous ne nous sommes jamais rencontrés ?

– Elle va pouvoir s'en sortir ?

Il me fait non de la tête puis s'approche de moi avec lenteur.

– Vous n'êtes pas du personnel. Vous êtes comme elle ?

– C'est quoi comme elle ?

– Une prostituée. C'est votre amie ?

L'homme vient de semer un doute en moi. Est-ce que ça se voit sur moi que je suis une pute ? Est-ce que je porte en moi, sur moi, toutes ces années a n'être qu'un jouet sexuel, à subir viol, humiliation et torture ? Est-ce qu'un jour, je pourrais vraiment être Marie Lefranc ? Qui voudra de moi ?

Je sens les larmes couler sur mes joues. L'homme recule, le visage rempli de pudeur.

– Je suis désolé, soupire-t-il avant de tourner les talons et de me laisser seule avec le bruit des machines.

Quelque chose s'empare de moi à cet instant, une sorte de douce chaleur envahit mon être, je me sens l'âme légère, comme un besoin d'apaiser mes souffrances, mais aussi les siennes. Je m'approche du corps de cette femme que je ne connais pas, j'empoigne fortement sa main, et je me mets à lui chanter en polonais la petite berceuse que ma maman me disait le soir :

« La lune tisse des tresses
De rêves colorés,
Dors, ma petite poupée,
Dors ma fille, dors. »

Cette chanson, elle est toujours dans ma tête, comme un dernier lien avec ma vie de petite fille avant tout cet enfer. Les paroles, je les connais par cœur. Je chante, je pleure et je souris en même temps. C'est étrange, mais je sais à ce moment-là que quoiqu'il arrive, je serais toujours Katarina. Je pourrais la cacher sous un autre nom, sous d'autres habits, mais la petite fille que j'étais est là, maman aussi, à jamais, pour toujours.

Je finis par souhaiter une meilleure vie à cette femme, là-haut s'il existe un paradis ou dans une autre vie, un ailleurs, et je débranche les machines qui la relient encore à son affreuse existence, son terrible passé.

Les jours qui ont suivi, j'ai beaucoup réfléchi. Je suis prête à tuer les Japonais. Je veux avancer, aller vite vers Marie Lefranc. Je veux en finir avec mon passé, ne plus être une pute, et surtout ne pas devenir folle.

NINAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant