Chapitre 41

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Je suis recouverte de bleus. J'ai mal partout, mais le pire reste à venir. Ils m'ont décrochée et traînée jusqu'à l'arrière d'une camionnette. Je suis toujours nue, j'ai froid, j'ai faim et je les entends rire de moi. L'un d'eux a même uriné sur moi.

Quand les portes arrière s'ouvrent, je reconnais exactement le lieu. Là où je voulais être. Je pleure de joie cette fois, mais eux ne le savent pas. Je prie aussi un Dieu qui n'a jamais été là pour moi que Zed, Mily et Adam ne m'ont pas abandonnée.

Les enfoirés me mettent un collier de chien et me tiennent en laisse, tirant sur mon cou pour me faire avancer dans le théâtre. Nous nous faufilons au travers de nombreux hommes qui me dévisagent jusqu'à ce qui semble être les coulisses. Je vais encore rester un long moment prostrée dans un coin. Peut-être deux jours, je ne sais pas. On ne me nourrit plus, j'ai seulement le droit d'aller rapidement aux toilettes et boire le peu d'eau que je peux.

C'est le bruit qui me réveille. Toute l'agitation dans l'air. De la musique, des rires d'hommes, l'odeur des fumées de cigarettes ou de cigares. Des danseuses font leur va-et-vient dans les loges, me regardant à peine. Je suis blottie dans un angle, j'attends ma mise à mort.

Et puis, un homme élégamment habillé vient me chercher. Il attrape ma laisse et m'oblige à le suivre, quand je tente de me lever, il me fait tomber.

– Les chiennes, ça marche à quatre pattes, bave-t-il au creux de mon oreille en anglais. Avance sale pute.

Je ne peux qu'obéir. Toutes les personnes présentent dans les loges me scrutent. Ma nudité, mon humiliation, je n'en ai que faire. Je ne pense qu'à une chose : le plan. Mes genoux me font tellement mal et quand ce salaud tire sur ma laisse, je tombe tête la première, la force physique m'abandonnant à chaque mouvement.

Des lumières vivent et le bruit d'une salle pleine, me disent que je suis arrivée enfin à destination. Me voici sur l'estrade, à quatre pattes toujours face à une foule d'hommes éparpillés par petits groupes autour de tables. Danseuses nues un peu partout, serveurs et serveuses aux petits soins. Après une légère mise au point de ma vue, je n'ai plus de doute, mon regard croise celui d'Adam en tenu de serveur qui me fait un simple geste de tête. Ils ne m'ont pas lâchée, mes amis sont là, le plan est en marche, j'ose un sourire.

Un silence presque morbide s'impose. Je les vois tous me regarder. Dois-je être fière d'être là, en hauteur face à eux ? Moi, Nina, pute depuis mes six ans, face aux membres des clans tous réunis ici pour se partager le monde, pour rire de la cruauté qu'ils sèment, je suis là, vivante malgré tout, et dans un élan de fierté, je me lève et offre mon corps nu mutilé à l'assistance.

L'homme tire sur ma laisse pour me faire tomber, mais je refuse de retourner au sol.

– Nous avons la pute la plus coriace du monde ! Finit-il par dire en riant à l'assemblée qui rit aussitôt.

J'entends arriver derrière moi un drôle d'engin poussé par des sbires. Une planche en bois avec des fers, je comprends aussitôt que c'est pour m'y attacher. Ils vont me torturer, plus de doutes.

D'un coup rapide, le russe me fait tomber à genoux et empoigne mes cheveux.

– Messieurs, je ne vous présente plus, cette pute de Nina. Certains d'entre vous ont peut-être eu l'honneur de la fourrer avant qu'il ne lui vienne l'idée de couper des queues !

Mon regard balaie la salle. Je repère Mily. Zed doit être à son poste. Mais je reste sans souffle quand je vois papy attablé avec ses deux gardes avec lui. Non ! Hurle ma conscience. Que fait-il ici ? Il devait bien se douter que j'allais agir ? Non ! Les larmes me viennent. Le piège est prêt, mais je ne veux pas le tuer. Il me regarde avec tendresse cette fois, faisant même un léger sourire. Je comprends que la présence du clan japonais était certainement obligatoire et qu'il a pris la place d'Eichi pour le protéger. Papy voit toujours loin. A-t-il prévu aussi sa mort ?

Mon cœur part une fois encore en morceaux. Je l'aime papy. Je l'aime de tout mon cœur malgré tout. L'homme interrompt mes pensées.

– Messieurs, c'est l'heure du jeu ! Les règles sont simples, la demoiselle ne doit pas mourir rapidement, sinon ce serait gâcher le plaisir. Une assistante va passer à chaque table et vous demandera d'écrire l'endroit où vous voulez que je coupe. Nous laisserons l'honneur à nos amis italiens pour qui la mort douloureuse de Tony Marchelo a été une grande perte.

– Vous avez réussi à lui recoller sa queue avant de l'enterrer ? osé-je demander en riant.

Et la gifle est partie, je suis un peu tombée sous la violence du choc. Deux hommes viennent me relever et m'attacher pieds et mains sur la planche en bois, le rire me vient de plus en plus fort. Je ne peux me retenir. Voilà donc ce que fut ma vie ? Souffrance, peur, sexe, sang, folie.

Les bruits se taisent. Je n'entends plus rien. Mon regard se fixe sur le plafond peint de petits anges qui volent entre des extincteurs. Le calme s'empare de mon corps tout entier, les larmes chassent le rire et comme dans un dernier souffle, je me mets à chanter de plus en plus fort ma douce berceuse. Je pense très fort à maman, aux brioches à l'eau de rose, à nos rires près du feu, je nous revois danser et papa applaudir.

« La lune tisse des tresses
De rêves colorés,
Dors, ma petite poupée,
Dors ma fille, dors.

Parmi les pétales des roses thé,
Poucette est endormie,
Un petit grillon exténué
S'est, en chantant, endormi aussi. »

Maman. M'as-tu attendue ? Maman, je rentre à la maison. Ta Katarina arrive. Maman...

Et puis, comme prévu au moment où je devais chanter ma chanson, Zed a activé les gicleurs à incendie du plafond, mais ce n'est pas de l'eau qui tombe sur les hommes de la salle qui crient, c'est de l'essence. Il y a peu de portes et je sais que Mily et Adam les ont définitivement fermées.

Le feu arrive par les coulisses et se répand avec force. Les hurlements me réjouissent. Qu'ils brûlent tous, ils ne méritent que ça. Mes yeux vont vers papy qui avait l'air d'attendre que j'ose le regarder. Il sourit et lève une petite bouteille qu'il boit cul sec. Ses deux gardes en font de même et tous les trois s'écroulent aussitôt. Papy avait une fois encore tout prévu. La fumée envahit la salle, je cherche l'homme aux cigares, mais je ne sais pas à quoi il ressemble en fait après toutes ces années. Je commence à étouffer et sentir la chaleur m'envahir et puis je prends un violent coup, je sombre dans l'obscurité.


NINAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant