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      Le débarquement sur le sol corse s'est fait le lendemain, aux premières lueurs du jour. Le soleil commençait à caresser la surface de la Terre, illuminant le port de couleurs pastel. Comme si un jour nouveau signifiait tourner la page d'un livre et débuter un autre chapitre, il avait aussi chassé la tempête. L'air était déjà chaud et sec, prédisant une journée estivale.

— La Corse ! a crié Jules lorsque son talon a percuté le bitume du port en descendant du ferry.

Une dame et son mari l'ont regardé de travers.

— Va vraiment falloir que t'arrêtes de crier à tout-va, ai-je soufflé.

— Ça y est, mesdames et messieurs, Cléo commence à faire sa rabat-joie !

Mon ami a passé son bras autour de mes épaules, son sourire ravageur m'imposant son bonheur.

— Tu finiras par y prendre goût, ma chère.

Il a déposé un baiser baveux sur ma joue avant de prendre les devants en sautillant. J'ai grimacé et ai essuyé mon visage avec la manche de mon sweat.

On est sortis du port, nos gros sacs à dos vissés à nos hanches, pour rejoindre la gare de l'Île-Rousse. Le départ du GR se faisait à Calenzana, un village à quelques dizaines de kilomètres dans les terres. Il nous fallait prendre un premier train pour Calvi, puis un deuxième. Il n'était que six heures trente et je sentais déjà que la journée allait être longue.

En arrivant à la gare, une équipe est partie prendre les tickets tandis qu'une autre s'est chargée des croissants et des cafés suants. Une fois montés dans le train, je me suis installée contre la vitre, tenant le récipient entre mes mains et laissant sa liqueur réveiller mon corps. Mahé, Katie et Jules sont venus compléter les sièges du carré. Clémentine s'est étalée sur une rangée à côté. Elle était pâle et de gros cernes bleutaient le contour de ses yeux.

Le train a démarré, nous embarquant loin de la gare et, très vite, nous faisant longer la côte. Les vagues scintillaient au soleil, le jour était à présent bien éveillé.

— C'est quoi le plan de la journée ? a demandé Katie en terminant d'une traite son café.

— On devrait arriver à Calenzana vers neuf heures, a commencé à nous expliquer Mahé en sortant son carnet.

Il y notait toutes les indications nécessaires à la randonnée. Chaque étape, leur durée, leurs difficultés, les refuges dans lesquels on dormirait. L'idée de la destination du voyage, c'était la sienne. D'origine réunionnaise, il avait déjà gravi le Piton des Neiges, la Crête des 3 Salazes et de nombreux cirques n'avaient plus de secrets pour lui. Parcourir les montagnes corses avec son sac faisait partie de ses objectifs depuis un moment.

Il a ouvert ses notes à la page du jour et a continué :

— Arrivés là-bas, on doit trouver de quoi pique-niquer pour ce midi impérativement. Puis on commence l'ascension. Honnêtement, ça va grimper toute la journée, 1360 mètres de dénivelé. On en a pour 6h30 mais, vu l'état de Clem, j'ai peur qu'on mette plus longtemps. On devrait arriver au refuge d'Ortu di u Piobbu vers 17 heures maximum.

— Parfait, ai-je souri en déviant mon regard pour observer le paysage qui défilait.

Tout avait un goût nouveau de liberté ce matin. Je l'avais senti en me levant. Nous étions sur le territoire corse, une mer nous séparant de chez-nous. Plus rien ne pourrait nous faire revenir en arrière. L'objectif se dressait devant, chatouillait mes orteils. Nous allions gravir des montagnes, au sens propre, avec le strict minimum. Un retour aux sources de monde, une épopée à travers une nature en ayant vu passer, des siècles. Là-haut, au sommet, il n'y aurait que nous et le ciel. Pas de pollution, de nuages chevauchant au vent, de klaxons brisant la poésie silencieuse. Nous serons seuls au monde, il sera nôtre et nous serons siens.

Lettre à ÉliseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant