4

162 42 186
                                    

     Ce premier jour de grimpette nous a fait suer. Nous avons suivi les balises qui nous entraînaient toujours plus haut vers le sommet de la montagne. Nous avons très vite dégainé nos bâtons de marche, ustensiles plus que nécessaires à toutes randonnées de haute montagne. Cela nous permettait de nous aider dans l'ascension, de garder un rythme de marche et de soutenir nos corps alourdis par nos sacs. Nous avons alors pris conscience que chacun des grammes que nous portions sur nous étaient un fléau.

— Putain de con de bouquin de merde, a râlé Katie à peine une heure après notre départ. Pourquoi je me suis obstinée à emporter Guerre et Paix, déjà ?

— Tu voulais profiter des vacances pour enrichir ta culture littéraire, a répondu Clémentine dans un premier degré qui nous a fait rire.

Des gouttes de sueurs coulaient le long de ses tempes, à peine épongées par les bords de son chapeau.

— Va te faire voir, littérature de merde, a continué Katie.

Lancée dans sa vendetta, elle a lâché plusieurs jurons sous nos rires moqueurs.

Nous n'étions pourtant pas encore à plaindre : la randonnée débutait à mon sens calmement. Elle grimpait mais nous avions la chance de marcher sur un chemin ombré par les feuilles de chênes verts et les aiguilles de pins sylvestres. Mahé ouvrait la marche. Ses yeux de faucon suivaient les balises et nous guidaient dans ce maquis qu'il n'avait pourtant jamais connu. Cet environnement ne lui était pas familier, il avait grandi entre océan tumultueux et forêt tropicale. Pourtant, je le suivais dans cette jungle de rocs et de genets les yeux fermés. Il était notre phare.

Jules sautillait autour de nous sans vraiment suivre le chemin, tel un cabri, et allait de roche en roche comme si la pente n'était rien. Il agaçait Clémentine qui, marchant devant moi, n'avançait guère. Elle était à la limite du reculons. Deux pas en avant pour un pas en arrière. Fermant la marche, je tentais de lui laisser de l'espace pour ne pas la presser.

— Tu devrais sortir tes bâtons, lui ai-je suggéré. C'est moins fatiguant.

— J'ai pas envie d'avoir l'air d'une vieille.

Ses joues cerise semblaient pouvoir s'embraser.

— On s'en fout, Clem. Personne ne te regarde ici.

— Vous, si. Et puis tu vas filmer, Jules va poster ton vlog sur Insta et on me verra avec des bâtons de marche comme une mémé. Déjà que ces shorts Quechua nous donnent un look à la Harrison Ford.

J'ai décoché un sourire.

— Premièrement, oui tu seras dans mon film qui finira sans doute sur Insta à cause de notre ami commun imbu de lui-même. Deuxièmement, oui ce short ne nous fait pas un aussi beau cul qu'Indiana Jones mais il sera bien plus facilement lavable. Troisièmement, tu ne vas pas pouvoir faire les 80 km de randonnées qui nous attendent cette semaine sans tes bâtons. Autant, en montant, je peux comprendre que tu veuilles préserver ton style, mais pour les descentes tu seras obligée. Tu vas te niquer les genoux, sinon.

Elle a expiré et j'ai pu deviner l'expression blasée sur son visage. Je n'ai pourtant pas insisté, certaine qu'elle finirait par entendre raison. J'ai continué de l'accompagner dans sa valse absurde. Deux pas en avant, un pas en arrière.

— Vous savez que nous marchons sur un ancien sentier de muletier ? a crié Katie d'un peu plus haut, le nez enfoui dans le guide qu'elle avait apporté.

Apparemment, traîner les 1600 pages de Guerre et Paix ne lui suffisait pas, elle avait décidé d'emporter ses Encyclopédies avec elle.

— C'est quoi un muletier ? s'est enquis Jules en trottinant sur l'herbe aux brins dorés qui longeait le sentier.

Lettre à ÉliseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant