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     Mahé s'est éloigné en longeant la plage pour rappeler Katie. Je ne l'ai pas accompagné. Je me suis assise dans le sable humide, y enfonçant mes pieds. Mes doigts jouaient nerveusement avec les perles du bracelet de Telma. L'angoisse remontait dans ma gorge. Ça ne marchait pas du tout, son truc. Les nuages dans le ciel ont viré à l'oranger à mesure que le soleil se couchait.

On ne serait jamais à Ajaccio avant la nuit, notre groupe ne retrouverait pas sa solidarité.

J'ai eu l'envie soudaine d'appeler ma mère. Entendre sa voix me raconter sa journée, ses collègues insupportables et la chaleur à la maison. Mais mon téléphone était toujours au fond du GR, condamné à jamais. Elle devait s'inquiéter. Cela faisait maintenant une semaine que je n'avais pas donné signe de vie. Elle ne savait même pas où j'étais. Tant pis. Cette remarque a coulé sur ma peau imperméabilisée.

Je me suis allongée sur le sable, les yeux fermés, attendant ou repoussant le moment où Mahé reviendrait m'annoncer ce qui avait valu autant d'appels en absence. Les petits grains se sont glissés sous mes ongles, mes mèches de cheveux ont chatouillé le bout de mes oreilles, animées par le vent. Les rires d'une petite fille et les cris d'un bébé couvraient le murmure des vagues.

Puis j'ai reconnu les pas de Mahé se rapprocher. Il s'est agenouillé, sa main s'est posée sur mon genou plié. Sous mes paupières je n'ai pu deviner son état. J'ai patienté une éternité jusqu'à ce qu'il me souffle enfin :

— Il va bien.

J'ai ouvert les yeux pour aviser s'il rigolait avant même de me remettre à respirer. Il a souri, un soulagement presque imperceptible au coin de l'œil. Mes poumons m'ont suppliée, j'ai inspiré.

— Vraiment ?

— Vraiment. Il est en observation jusqu'à demain soir. Six points de suture.

— Les filles ont pu le voir ?

Il m'a montré une photo que venait de lui envoyer Katie. Leurs trois frimousses tout sourire m'a fait rire. Jules, alité et les yeux fatigués, tentait tant bien que mal de regarder l'objectif.

— Il va bien, ai-je répété.

Mahé m'a serré contre lui. Nos cœurs à présent apaisés battant la chamade l'un contre l'autre.

— On se baigne ?

— Ok.

On a laissé nos affaires en plan sur le sable humide et on a couru pour casser les vagues. On a vagabondé un moment entre les rochers et les algues flottantes. Dérivant au courant, laissant le sel gorger nos pores.

Quand nous sommes sortis de l'eau la nuit tombait enfin, les étoiles s'allumaient les unes après les autres. Je nous ai payé des glaces au camping à côté de la plage. Des cornets industriels dont le chocolat s'est mis à fondre à peine dévêtu de son emballage.

— On dort ici ? ai-je suggéré à présent que nous n'étions plus pressés de retrouver nos amis et que Jules reprenait du poil de la bête.

Mahé a balayé le camping d'un regard peu convaincu.

— Bof. T'es fatiguée ?

J'ai haussé mes épaules.

— Pas tant.

J'avais dormi hier tout l'après-midi et nous nous étions levés à neuf heures passées ce matin.

— J'ai une idée, viens on repart.

Et nous sommes repartis sur les routes, comme éternellement liés à elles. Rester statiques devenait moins reposant. Le chant des cigales s'était tu pour offrir la place aux grillons. La chaleur était descendue, tout était doux et bon comme une chanson. J'ai croqué dans le bout chocolaté de mon cornet.

Lettre à ÉliseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant