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     Antoine nous a proposé de nous avancer vers Ajaccio d'une trentaine de kilomètres. Il nous a conduit avec sa Clio jusqu'à Renno, un petit village perdu au milieu de châtaigneraies, encore dans les montagnes. Il devait retourner bosser, son hôtel ne tournerait pas sans lui.

— Si vous continuez par la route, vous finirez par trouver la mer d'ici cinq ou six heures ! nous a-t-il rassuré en redémarrant sa voiture.

Je tenais entre mes doigts un flacon de baume qu'il m'avait offert avant de partir.

Nous avons agité nos mains pour le saluer, le cœur serré de devoir quitter cet homme qui nous avait accueilli comme sa famille. La Clio a disparu entre les chênes.

— Bon, direction Ajaccio ! me suis-je faussement réjoui en attachant les sangles de mon sac. Tu penses qu'on pourra y arriver avant ce soir ?

— Si on fait un peu de stop, pourquoi pas.

Nous avons pris la route, nos pas n'étaient plus habitués à sillonner du goudron, ça nous a fait drôle. C'était plus cassant, moins rebondissant. J'ai senti plus intensément le poids de mon sac dans mon dos. J'y avais rangé, dans une paire de chaussettes propres roulée en boule, le baume d'Antoine.

Plus d'une heure est passée sans que nous ne croisions une seule voiture. Ce coin était paumé. Nous avons évolué au milieu des châtaigniers et des fougères humides, silencieux. Mon téléphone devait toujours dormir sur la route sur laquelle je l'avais lancé hier, mort sous mes fracas. Les seules nouvelles que nous avions de nos amis se faisaient grâce à Mahé et Katie. Ils s'envoyaient régulièrement des infos. Les filles allaient voir Jules dans l'après-midi, au moins pour s'enquérir de son état. Nous serions bientôt fixés, et rassurés.

— Eh, tu les entends ? ai-je souri pour moi-même en contemplant la forêt qui bordait la route.

Mahé a suivi mon regard sans comprendre.

— Qu'est-ce que je devrais entendre ?

J'ai empli mes poumons de l'air de la montagne qui commençait à se réchauffer à mesure que nous la descendions.

— Les cigales ! Elles sont revenues.

Je venais à peine de remarquer qu'elles accompagnaient à nouveau notre randonnée, alors qu'elles nous avaient quittés dès le premier jour du voyage, lorsque nous avions atteint les hauteurs d'Ortu di u Piobbu. Elles cymbalaient à cœur-joie autours de nous, nous offrant un peu de la saveur méditerranéenne, et des souvenirs de chez-nous.

Au même instant, le vrombissement d'un moteur est venu casser leur mélodie. Mahé a affiché son pouce levé bien en vue, j'en ai fait de même. Enfin une voiture !

Mais elle nous a doublés à vive allure sans s'arrêter.

— Counas ! ai-je sifflé entre mes dents.

Ça a fait pouffer Mahé.

— On est bien aussi, à marcher.

Alors on a marché encore trois heures au milieu de la campagne profonde corse. Quittant peu à peu les roches des hauteurs pour retrouver des petites bergeries et des villages sereins. Par moment, la route ondulait au milieu de troupeaux de brebis, ou de cochons sauvages. Nous passions le plus discrètement possible pour ne pas les énerver mais, pris dans leur sieste, ils ne prenaient même pas la peine d'ouvrir un œil pour nous aviser.

Nous n'avons pas repris la conversation que nous avions eu la nuit dernière. Je n'osais plus aborder le sujet et Mahé semblait y être indifférent. Il se comportait comme à son habitude, solide comme un roc, solaire parmi mes nuages.

Lettre à ÉliseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant