𝐿𝑒𝑡𝑡𝑟𝑒

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    Je me souviens de notre première soirée étudiante comme si elle était calquée à la pellicule d'un film. Les images de nous courant dans les rues de Marseille, heureuses du vent de liberté qui nous portait, étudiantes aux jupes volantes, défilent toujours devant mes yeux.

     Les autres aussi nous avaient accompagnés, mais je ne me souviens que de nous deux. Ils avaient voulu rentrer tôt et toi tu m'avais suppliée de rester danser encore un peu. Juste un peu.

             1h,

                 2h,


                                                                                               4h,

                                                          6h.

     Et le réveil qui avait sonné, et la vie qui avait repris.

     J'avais dormi chez toi. T'avais tiré un matelas de sous ton lit et nous nous y étions assoupies, ton odeur m'enlaçant comme un rêve. On avait débarqué en cours le lendemain, les poches sous nos yeux trahissant quelques vodka-grenadine descendues, quelques pas de danse ratés, quelques chants envolés. On n'était pas très fières. Je ne m'étais même pas changée de la veille. Tenue de soirée face aux microscopes aseptisés. Ça nous avait fait pouffer au creux de nos coudes toute la matinée.

     Le midi, entre deux bouchées de repas du Crous cramé, tu m'avais déclaré :

     — En fait, t'as du caractère, toi.

     Ça m'avait mise en rogne. T'avais brisé la magie diffusée par notre amitié récente. Sous mes airs apeurés par cette université si vaste, ces étudiants révoltés, la complexité des cours qui m'accablaient un peu plus chaque jour, t'avais cru que je n'étais qu'une coquille vide. Un plancton de plus noyé dans l'océan.

     Était-ce l'alcool qui désinhibe ou mes pas de danse peu maîtrisés qui t'avaient fait changer d'avis ? Sur le moment je n'avais su, j'avais juste rougi sous l'hilarité de Jules qu'avait provoqué ta déclaration. Mais aujourd'hui je sais, ce n'était ni l'alcool et la danse, ni les soirées et les jupes qui virevoltaient. Tu ne me mettais pas non plus à l'épreuve. Ce jour-là tu m'avais fait comprendre que si je le voulais, je pourrais rattraper ce courant étudiant que je n'arrivais à suivre. Architecte, tu avais posé une première pierre à l'édifice que tu allais m'aider à construire.

     Brique après brique, une Cléo qui s'élève, des passions qui s'ébruitent, une confiance qui se ravive.

Lettre à ÉliseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant