𝐿𝑒𝑡𝑡𝑟𝑒

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     Je t'ai rencontrée à l'université. Même classe, mêmes options. Nous avions alors dix-huit ans et l'impression d'être lâchées dans le grand bain sans savoir bien nager. Bancs d'étudiants filants dans le courant, récifs de BDE survoltés, de professeurs aux dents de requin nous forçant à travailler.

     Bon nombre d'entre nous savaient qu'ils n'avaient pas leur place ici, se demandaient ce qu'ils foutaient là. Pris en post bac dans des licences par dépit de n'avoir obtenu autre chose, on suivait les cours sans comprendre, pour garder un cap, ne pas traverser l'océan en solitaire. J'avais été lâchée là, poussée par mes parents inquiets que je ne trouve pas ma voie, que je les tire vers le fond comme mon frère avant moi l'avait fait, incapable de s'auto-gérer.

     Mais toi, tu t'es de suite démarquée. T'avais ce regard déterminé, tu savais où t'allais, ce que tu faisais. Tu levais ta main bien haut dans l'amphi pour attirer l'attention, tu posais tes questions avec une assurance que j'ai toujours jalousée. Tu savais que ta place n'était nulle part ailleurs, que cette licence d'écologie t'ouvrirait un chemin vers un puits de connaissances qui ne s'épuiserait jamais. Tu savais que la nature avait tant de secrets à te murmurer que ton esprit ne pourrait être rassasié. Tu ne connaîtrais pas l'ennui, tu ne te poserais pas de question sur ta légitimité. Car toi, tu avais trouvé ta voie.

     Alors tu m'as repêchée.

     Je me suis toujours demandé comme une fille comme toi avait pu remarquer une fille comme moi. Rasant les murs, tapissant le fond des salles de classe, attendant que le temps passe. Tu t'es avancée d'un naturel envoûtant, ton sourire a sublimé l'univers terne de l'université, et tu m'as proposé de venir pique-niquer avec les autres étudiants de notre classe. T'as même pas eu à tirer le fil de la canne à pêche que j'ai acceptée. Je t'ai suivie et j'ai rencontré les autres. Katie, Clémentine, Mahé et Jules. Les seuls à être venus à ton pique-nique organisé, mais les plus précieux, les plus honnêtes. Tous les autres midis de ces années de licence, je les ai passé à vos côtés. Grâce à toi, j'ai trouvé un banc auquel me rattacher pour traverser l'océan tumultueux qui nous attendait. Des années étudiantes qui resteraient graver en moi à jamais.

Lettre à ÉliseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant