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     J'ai souillé la montagne, de mes insultes. Mes cris se sont déversés sur ses pentes, ma douleur a coulé entre ses ravins. J'ai hurlé ma peine, mon amour, ma rage. Tout est sorti comme une explosion.

J'aurais aimé sentir la montagne frémir, le ciel gronder sous mes insultes, la mer bouillir et qu'on ait entendu au loin Marseille pleuvoir sous les bombes, les flammes la consumant. J'aurais aimé voir le monde s'écrouler à mes pieds, qu'il ne reste plus rien car dans mon cœur j'étais vide. J'étais désert aride. J'ai hurlé jusqu'à perdre ma voix, espérant que tout s'effondrerait, que la Terre se consumerait de ma tristesse, que quelqu'un m'entende, quelque part, là-bas, au loin. Que quelqu'un sache, que le monde craque et que la fissure incrustée dans mon cœur le brise. J'ai hurlé en attendant une main, une aide, un espoir. Que mon manque perse l'atmosphère, qu'il le salisse, l'embrase, le vide. Qu'il ne reste rien hormis ce son qui vibre dans le vide.

Je voulais tout voir brûler pour ne plus rien sentir. Voir l'avenir néant et passé dissipé. Que les ondes de mon cri se transforment en tsunami. Vague purifiant les fracas de mon cœur.

L'univers a sombré, les minutes se sont dilatées.

Lorsque j'ai ouvert mes yeux j'étais au sol, face à la vallée, aux tourments du vent. Les bras de Mahé m'enserraient. Des larmes déjà sèches entaillaient ma peau. J'étais sonnée de vie, sonnée d'être encore ici. Sentir le vent, les larmes, les doigts de Mahé entre les miens, ses sanglots dans mon dos.

J'aurais voulu crever pour ne plus rien subir. Anesthésier mon âme. Mais j'ai retrouvé la vue, j'ai retrouvé l'ouïe.

Mahé a chanté pour moi. La chanson sur laquelle j'ai aimé, j'ai dansé, j'ai vécu. Et je suis revenue. Mon ancre qui m'empêche de dériver, mon phare qui me guidait entre mes sombres pensées. Ses murmures dans mes oreilles ont bercé mes tourments et je me suis laissé aller. Épuisée de souffrir j'ai laissé cet instant me réapprendre à vivre.

Somewhere, over the rainbow.

Il m'a pris dans ses bras et nous sommes restés comme ça, acceptant que la montagne n'allait pas s'effondrer, qu'on devrait tôt ou tard continuer de marcher. Parce que je n'avais de pouvoir sur rien d'autre que sur moi-même. Que j'étais la seule personne que je pouvais sauver. Élise était partie, elle n'était nulle part sur la Terre où je pouvais l'y trouver. Elle avait fait le choix de s'en aller et je ne pouvais la suivre. Les bras de Mahé autour de moi me l'ont rappelé, pour lui j'existais, pour lui j'étais enclume. L'un à l'autre nous nous raccrochions à ce qui comptait. Parce que sans lui je dérivais et sans moi, que lui restait-il ?

— Craque pas, m'a-t-il supplié.

Je l'ai serré fort.

— Je reste là.

Depuis le ciel, un orage a divisé les nuages. Les premières gouttes de la pluie ont plongé entre nous. Nos fronts se sont collés.

— Avec ce voyage je revois tout, je retrouve tout, ai-je murmuré. Et ça fait mal.

— Ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas vus tous les cinq, comme avant. Sans se côtoyer c'est facile de nier, mais ici, à vivre ensemble, les souvenirs remontent.

— Ça te fait quoi, toi ?

— Du bien.

Ses lèvres aux portes des miennes se sont étirées avant de reprendre :

— Vous avez été et restez mes amis les plus chers, nous savoir réunis comme tu l'as dit tout à l'heure, c'est un soulagement que je n'explique pas.

— Tu ne ressens pas un manque ?

— J'ai appris à m'en familiariser.

Le long des mèches de mes cheveux l'eau dégringolait. La vallée qui courrait en pente était à présent brouillée. On ne voyait plus à cent mètres.

Lettre à ÉliseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant