— Poussez-vous j'arriveeee ! a crié Jules avant de finir sa course en sautant dans le vide.
Il a replié ses jambes contre son torse, s'est bouché le nez avec deux doigts, et l'eau noire l'a accueilli dans un feu d'artifices d'éclaboussures. J'ai plongé sous l'eau pour m'en protéger, ai fait quelques brasses et suis remontée au niveau des rochers qui bordaient le bassin. La tête de Jules, secouée par la bombe qu'il avait effectuée, est sortie de l'eau en même temps que moi.
— Ça déchire !
Une seconde après, Mahé plongeait à son tour à quelques mètres de lui, Katie sur ses pas.
Il n'y avait personne que nous aurions pu déranger. Nous étions entre nous, rafraîchis par cette piscine naturelle qui nichait à une dizaine de minutes du refuge de Carrozzu. C'était le gardien qui nous en avait parlé et il ne nous en avait pas fallu plus pour nous motiver à abandonner nos sacs à dos sur nos couchettes et faire quelques centaines de mètres supplémentaires vers le bas de la vallée pour profiter d'une offrande comme celle-là.
L'eau sombre calmait nos muscles fatigués et réveillait nos âmes d'enfants. Entre plongeons et courses de brasse, la fin d'après-midi nous a filé entre les doigts. Seule Clémentine avait préféré rester au refuge pour se reposer. Toujours fermée sur elle-même, elle s'était contentée de refuser notre proposition d'un mouvement de tête. Katie avait suggéré de rester avec elle mais elle avait décliné à nouveau.
— Cléo, filme ce saut !
Jules et Mahé, bras dessus bras dessous, s'étaient hissés à nouveau sur la roche qui surplombait le bassin et nous servait de plongeoir. Je me suis extraite de l'eau pour attraper mon caméscope dans mon sac.
— Silence. Ça tourne. Action ! ai-je annoncé.
Les garçons ont pris leur élan, décollé du rocher, pris chacun une pose en l'air avant de s'écraser contre l'eau. Le courant qu'ils ont créé a fait dériver Katie vers la petite cascade qui remplissait le gouffre. J'ai eu un mouvement de recul pour me protéger des potentielles giclées.
Tandis que mes amis tentaient de glisser sur la cascade comme sur un toboggan, je me suis étalée de tout mon long sur le granite. La pierre, chauffée des heures par le soleil, gardait en elle toute cette énergie et séchait l'humidité de mon corps. J'ai fermé les yeux.
Parfois j'avais besoin de me reconnecter au vivant. Sentir, goûter, toucher, écouter. Les huiles essentielles du romarin, l'eau provenant des sommets, le contact de la pierre sur ma peau dénudée, les gargouillis de la cascade abreuvant le bassin. J'étais là, ici, maintenant. Ailleurs n'existait pas. Passé et futur devaient fuir mes pensées. Je n'avais besoin que de cet instant.
Mais cette accalmie ne durait jamais longtemps, et le flux incessant qui imprégnait mon âme revenait comme un boomerang. Cette impression de flotter hors du temps, hors du monde. La planète tournait devant mes yeux impuissants, et je voguais dans l'espace sans savoir où j'allais. Ma combinaison d'astronaute m'empêchait de m'asphyxier, mais je dérivais dérivais décrirais dans ma bulle flottante.
Je me suis laissé glisser le long de la pierre granuleuse et l'eau à dix degrés a fait vibrer mes nerfs.
Reconnexion réussie.
Toujours en vie.
De retour au refuge, sous les bouleaux perdant leurs fleurs, nous avons dégusté l'omelette à la menthe que nous a concocté le gardien du refuge. Les cigales chantaient leurs dernières notes en attendant la nuit qui tombait peu à peu. La terrasse nous offrait une vue dégagée sur la vallée et, en plissant les yeux, on pouvait deviner la mer.
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Lettre à Élise
Teen FictionSur un coup de tête, Cléo part en compagnie de Jules, Katie, Mahé et Clémentine grimper les montagnes de la Corse. Ils n'ont aucune préparation, seulement quelques affaires entassées dans leurs sacs à dos et leur amitié fébrile. Pourtant, même les p...